L'ordre des Hospitaliers de Jérusalem fondé en Palestine en 1050 pour accueillir les pèlerins s'était installé à Chypre en 1291, puis à Rhodes en 1308, à mesure des conquêtes musulmanes.
Soliman (1494-1566) a été le plus fort, le mieux organisé. Dès sa prise de pouvoir, on le sait législateur admirable ainsi que stratège militaire remarquable en Europe (jusqu'à Vienne qui ne tombera pas en 1529) et en Orient. Sous son avancée, un peu de traîtrise et surtout l'abandon des princes chrétiens, Rhodes capitule. Avec Soliman, l'Empire Ottoman s'étend maintenant de Vienne jusqu'à Aden.
Après la défaite, l'Ordre des Hospitaliers erre en Europe durant sept ans puis s'installe à Malte en 1530, don de Charles Quint. L'empereur est conscient de la nécessité de disposer en Méditerranée d'une force capable de s'opposer aux pirates barbaresques. Barberousse perturbe par trop les échanges commerciaux chrétiens en Méditerranée. N'a-t-il pas pris Alger récemment ? En 1571, la victoire de Lépante permettra à l'Ordre de redorer son blason.
Cette Prise de Rhodes est un magnifique recueil de textes et résultat de l'impressionnant travail d'un groupe d'historiens et traducteurs réunis sous la direction de Jean-Luc Nardone. L'ouvrage présente sur un siècle, des documents historiques ou littéraires, inédits pour certains en français, qui ont contribué à répandre le formidable récit du siège de Rhodes.
On y trouve à lire des lettres du grand maître aux princes chrétiens pour les avertir des dangers de la montée en puissance de l'empire ottoman (hallucinante l'évolution de la langue en presque cinq cent ans ! ), jusqu'à des poèmes ou pièces de théâtre postérieurs d'un siècle environ au siège de l'île.
C'est aussi les récits de témoins oculaires, comme Jacques de Bourbon, chevalier de l'ordre et proche du grand maître ou bien de deux italiens présents sur l'île : Gabriele Tadini et Giovanni Bradadin.
Jacobus Fontanus (Jacques Fontaine), un flamand de l'ordre lui aussi présent a raconté les expéditions, les morts nombreuses de part et d'autre, le rationnement… etc. Paru à Rome en 1524 puis publié en 1526, son texte en latin a été traduit en espagnol par Christobal de Arcos. Il est flagrant que ce dernier a pris quelques libertés avec le texte d'origine.
Alors que Jacques de Bourbon admet le raffinement et la magnificence de Soliman, de la vêture jusqu'à sa signature « en lettres d'or », admire aussi l'homme politique à la grande autorité et capable de clémence, pour l'espagnol Christobal de Arcos, les Turcs sont l'incarnation du mal absolu venus pour punir les chrétiens. Les princes chrétiens doivent retrouver leur alliance naturelle contre l'ennemi de leur foi. Le changement de discours est sidérant !
A noter le choix des auteurs du recueil à donner en préambule de chaque texte une analyse historique qui lui est propre pour le remettre dans son contexte, mais aussi apporter le point de vue de l'adversaire. Celui dont on parle, parfois dénigre allègrement sans jamais lui donner la parole.
Notamment, on lira avec curiosité les rapports du Vizir Ahmed Pacha (déc. 1522), textes frappant par leur qualité littéraire. Il est saisissant de lire dans un document purement administratif quelques vers joliment tournés. Un exemple du goût pour les lettres à la cour de Soliman, lui-même poète à ses heures.
L'éclairage sur le sujet est ainsi complet. Car « l'autre », l'ennemi, a aussi son mot à dire. Que j'aime cette démarche !
Pour faire court, je me m'attarde pas sur les textes littéraires présentés mais ils valent aussi leur pesant de curiosité. Même si on est pas trop fasciné par les choses de la guerre, il n'en reste pas moins que cet ensemble est instructif par le choix, la diversité et la qualité des textes présentés. Ils obligent à considérer autrement un fait historique.
Regarder autrement, savoir prendre le temps du recul, rien de tel pour ouvrir l'esprit. Par ces temps de l’instantané, de l'Internet omniprésent, cela ne fait pas de mal ! Pour cela, grand merci aux auteurs et à La Louve !
Dédale
Extrait :
Copie d'une lettre du sieur Gabriel Tadini da Martinengo, écrite à Messire Daniel Renier, procurateur.
Dans une de mes lettres je vous avais expliqué ce qui m'avait poussé à aller à Rhodes ; à présent avec une extrême douleur, je vous informe que le vingt décembre, le révérendissime grand maître, son Sacré Conseil et le peuple de Rhodes ont décidé de remettre la cité au seigneur turc, à condition qu'il respecte sa promesse de laisser sains et saufs les personnes et leurs biens. Que Votre Seigneurie soit certaine que Rhodes a été bien défendue, comme jamais cité attaquée a été bien défendue, de sorte que, quand fut prise la décision, cela faisait déjà plus d'un mois que les Turcs tenaient une grande partie de la cité, et ce serait trop long d'écrire tout cela et d'écrire à quelles extrémités la cité en était réduite. Mais si en septembre et même encore en octobre mille hommes étaient venus à son secours, on n'aurait jamais perdu Rhodes. Mais à la grâce de Dieu. La pauvre Religion a été abandonnée non seulement par tous les princes chrétiens mais aussi par ses propres princes. Je dirai à Votre Seigneurie que les Turcs ne sont pas ces hommes de guerre que l'on croit. Le vingt décembre donc la décision fut prise et la même nuit, à minuit et demi, les otages furent envoyés à l'armée turque, à savoir le prieur de Saint-Gilles et le prieur de Novare avec vingt-cinq chevaliers et vingt-cinq des personnes les plus importantes de la cité, et le traité avait déjà été apporté à l'intérieur de la cité. L'armée devait se retirer de quatre milles et la flotte devait aller à Physcos. Moi, en voyant la situation, je me rendis chez le révérendissime grand maître et lui dis que n'ayant plus à combattre ni à remettre la cité en état, je serais bien avisé de chercher à me sauver parce que pour de nombreuses raisons le seigneur turc chercherait à m'avoir entre les mains. Et ainsi Sa Révérendissime Seigneurie me donna à minuit un brigantin et me demande d'aller l'attendre à Messine où, si Dieu le veut, je me rendrai. Je ne laisserai pas de rappeler à Votre Seigneurie que si je me suis trompé, je ne me suis pas trompé délibérément, mais au contraire en croyant agir pour satisfaire Votre Seigneurie et tout cet État bienveillant.
Daté à Zante du 15 janvier 1523.
Je reste le serviteur de Votre Seigneurie, frère Gabriele Tadini da Martinengo.
La prise de Rhodes par Soliman le Magnifique sous la direction de Jean-Luc Nardone - Éditions La Louve – 496 pages
Commentaires
mardi 19 février 2013 à 11h32
La Louve a la côte en ce moment avec toi !
Je note le titre !
mardi 19 février 2013 à 16h23
Comme toujours avec la qualité ! En plus, j'étais bigrement en retard dans mes rédactions
, alors j'ai mis les bouchées doubles à la rédaction. Et ce n'est pas fini.... encore deux autres surprises à vous glisser l'air de rien. 