Au départ ils sont trois : Bauer, Emmerich et le narrateur. Trois allemands, que l'on suppose enrôlés dans un Camp où s’entassent des Juifs. Sur ce point l’auteur ne nous en dit presque rien. On sait seulement que le lendemain il en arrive et les trois hommes ont le cafard à l’idée de la tâche macabre qui les attend.

Il ne nous avait pas dit combien il en arrivait. Il savait que pour nous ce n’était pas du pareil au même, c’était important. Car s’il en arrivait beaucoup, il craignait qu’on commence à se porter malade dès ce soir.

Mais les trois hommes réussissent à convaincre le commandant qu’ils préfèrent la chasse aux fusillades. La chasse, c’est la traque à l’homme autour du camp de ces Juifs qui se terrent dans les forêts pour échapper à leur sort tragique.
Cela ne va durer qu’une journée. Il fait très froid, les trois hommes se connaissent bien et partagent leurs soucis à demi-mots. Emmerich par exemple : il pense à son fils resté là-bas, Bauer et le narrateur tentent par tous les moyens de le soulager de ses pensées funestes.
Malgré l’absence de repères dans la plaine polonaise, Emmerich détecte une petite cheminée qui mène à un trou : ils en tiennent un, la consigne étant de le ramener au camp pour démontrer l’efficacité de leur chasse.

Une maison apparut derrière une rangée d’arbres. (…) De dehors c’était une sale petite maison polonaise. (…) Les volets en planches noires étaient fermés. Une gouttière pendait. La chaux entre les pierres s’effritaient. La porte n’était pas d’aplomb, un gond manquait. Elle était fermée à clé. Il fallut à Emmerich plusieurs minutes pour briser la serrure.

Avec leur Juif capturé, qu’ils enferment dans une resserre, ils font le tour du propriétaire de cette petite maison plutôt laide, mais qui renferme un trésor par cette froidure : un poêle pour les réchauffer et se préparer à manger chaud.

Mais ce n’est pas tout. Un Polonais accompagné d’un chien frappe à la porte. Pas plus qu’avec le Juif il ne partage le jargon. Ces hommes vont donc se passer de la langue pour leurs échanges, mais pas de l’expression, et le ton qu’ils vont utiliser va engendrer un drame, dans un huit-clos fascinant, autour de la préparation d’une soupe à base d’oignon, de morceaux de saindoux, de la moitié d’un saucisson et de semoule de maïs que des Italiens leur ont donnée. Et même d’alcool polonais qui va apporter la touche finale à ce repas hors du commun. Ainsi commença le repas le plus étrange que nous fîmes en Pologne.

La force de ce récit tient dans la description minutieuse des relations entre ses hommes plongés dans un contexte très particulier. Hubert Mingarelli excelle à décrire les relations d’amitié ou de tyrannie qui peuvent s’exercer entre eux. Dans ce Repas en hiver, l’auteur maintient avec subtilité la tension entre ce Polonais qu’on devine totalement hostile à la présence du Juif, et les soldats allemands qui se posent en position d’arbitre.

Fraternité, solidarité, mais aussi cruauté ou culpabilité, Hubert Mingarelli touche avec une écriture d’une grande pudeur à des notions essentielles, à l’image de cette scène finale où les trois allemands seront confrontés à un dilemme cornélien dont on ne révélera pas l’issue. Un grand récit sobre et dépouillé qu’on referme avec un coup de froid polonais sur l’échine.

Alice-Ange

Du même auteur : L'homme qui avait soif.

Extrait :

Alors soudain, la faim qui nous avait un peu oubliés, cette faim que les cigarettes, l’alcool de pomme de terre et le feu dans la cuisinière avaient endormie, monta soudain de la casserole et nous retomba dessus comme si elle était vivante. C’est que la soupe était belle et sentait bon. Les tranches de saucisson portées par la semoule enfin cuite, flottaient à la surface. Le saindoux fondu bouillait encore.
Nous tournions le dos à la cuisinière. La chaleur nous caressait par-derrière. Nous regardions la soupe qui fumait. La tête me tournait. Nous regardions les tranches de pain. La soupe bouillonnait encore. Le pain avait roussi sur les bords et nous rappelait des choses. Bauer me dit sur le ton de la confidence, mais assez fort pour qu’Emmerich l’entende aussi.
- Ça, nous le dirons à notre neveu.

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Un repas en hiver de Hubert Mingarelli - Éditions Stock - 144 pages