Les origines de ce besoin des hommes à vouloir ouvrir ou fermer un espace, le vocabulaire propre, la symbolique religieuse, les superstitions, la porte comme instrument de pouvoir, tout y passe sous le scalpel de l’auteur. De son Histoire qui va des Magdaléniens jusqu’à nos jours où il faut un code numérique pour entrer dans son compte Facebook… J’en passe et des meilleurs de ces informations insolites, surprenantes.
Une somme de connaissances se cachent dans cette porte, sa décoration, son seuil, sa serrure ou ses gonds, ses huisseries jusqu’à l’évolution des progrès technologiques qu’ils sous-entendent. Que dire des ponts-levis, du mythe de la ceinture de chasteté du Moyen-âge ou de la concierge à si vilaine réputation mais personnage souvent important de la littérature dès le XIXe siècle. La porte s’adapte à toutes les époques, les coutumes, croyances, progrès techniques. Mais qui dit porte dit aussi passages initiatiques, spirituels, zones sacrées ou taboues. Sans oublier ces glyphes gravés ou dessinés sur l’encadrement des portes d’entrée des maisons pour repousser les mauvais sorts, les maladies ou attirer la chance, la santé ou la fortune.
Pas évident de résumer plus de 400 pages où l’on aborde tout : des règles de politesse, de bonnes manières quand on reçoit ou que l’on rend soi-même visite. De l’étiquette à la Cour, des octrois et barrières à l’entrée des cités, du calcul des taxes sur les portes et fenêtres.
L’essai est découpé en deux grandes parties : A nos portes avec l’Occident (où l’auteur s’attarde un petit peu plus) et En d’autres portes sur d’autres continents (Afrique, Asie, Océanie, Amérique). Car chaque continent, pays à ses portes et ses habitudes avec elle. Des mystères des serrures Dogon, aux portes en papier des maisons Japonaises jusqu’aux règles pour entrer dans un tipi ou une yourte, on n’entre et ne sort pas si simplement, surtout pas uniformément.
Cette Ethnologie de la porte, résultat d’un travail sur plus de dix ans, est vraiment foisonnante, riche, surtout sans termes trop scientifiques ou langage pompeux. Le tout donne un résultat très agréable et intéressant à lire. Parce que l’auteur ne tombe pas dans le catalogue. Sans jamais écraser son lecteur du poids de ses recherches, P. Dibie agrément son propos avec humour parfois, quelques idées qui donnent à réfléchir, à regarder nos portes d’un œil nouveau et peut-être l’envie d’en prendre un peu plus soin. Votre curiosité n’aura pas envie de prendre la porte et de se sauver ailleurs.
Bel essai où P. Dibie sait écouter aux portes et nous raconter le chant de l’Humanité qu’elles fredonnent.
Dédale
Extrait :
En 1165 une révolution technique éminente s’impose qui, à la différence de chez les Dogons du mali, n’annonce rien de bon : la serrure. Ce dispositif fixe qui dès la fin du XIIe siècle permit de rendre plus complexe le verrou primitif est présent dans notre langue quarante ans avant (1120). Voilà que l’on peut « serrer » ses affaires dans un tiroir, un coffre, voire derrière une porte, mais on n’en est pas encore là, c’est plutôt une corporation qui s’annonce et qui va largement contribuer aux progrès de la porte : les serruriers (1260), qui sera suivie par un art : la serrurerie (1393). La serrure n’est jamais que la forme complexe et mécanisée du loquet (1174) nommé ainsi par nos cousins anglo-normands ; elle a pour objectif premier de fortifier (1160), de clore (1160) (mot apparu la même année que couvercle) en d’autres termes de réaliser la fermeture (1180) ; d’enfermer (1190) dans le sens d’empêcher une sortie, autrement dit de fermer (1190) les portes de la ville ou de la citadelle gardée par une troupe.
Dans ces temps nouveaux et inquiétants de la recherche de systèmes d’enfermement, antinomiques à ceux de l’ « ouverture » un siècle plus tôt, il est intéressant de voir apparaître la fonction de clavier (1174). Pour que l’on nomme ainsi un « gardien des clefs », cela implique qu’il existait matériellement suffisamment de clefs pour que l’on ait besoin de les confier à quelqu’un. Preuve de cette nouvelle manie de l’enfermement avec l’apparition du métier de portier et de portière (1190), celui ou celle qui garde la porte, dont on imagine qu’il ou elle possédait au moins une clef, celle de la porte principale ! – La fonction féminine restera attachée plus spécifiquement aux couvents avant de se séculariser et de se développer au XIXe siècle, siècle emblématique du pouvoir des concierges.
Ethnologie de la porte de Pascal Dibie - Éditions Métailié – 420 pages
Commentaires
lundi 4 mars 2013 à 20h33
Merci, chère Dédale, de nous signaler cet ouvrage a priori passionnant. Cela me rappelle que dans le théâtre latin antique, on voit les personnages frapper à la porte avant de sortir : c'est qu'on l'ouvrait vers la rue et qu'il s'agissait de prévenir les passants afin d'éviter les heurts ! Les objets sont effectivement porteurs d'histoires, comme les mots qui les désignent : le texte d'illustration en est un bel exemple.
jnf
lundi 4 mars 2013 à 21h08
Oui, Jnf, effectivement un ouvrage a priori et aussi a posteriori passionnant. En fermant le livre en fin de lecture, on a le souffle coupé devant tout ce que cette porte a pu cacher derrière elle ;-)) La somme de travail, de recherches sur le terrain, de synthèse des résultats que ces pages supposent. Un ouvrage qui donne envie pour une prochaine vie d'être ethnologue ou archéologue... à voir.