La vie apporte à chacun son lot de joies et/ou de catastrophes. Et les adolescents ne sont pas exclus de ce principe. Bien au contraire ! Souvent, leur future vie d'adulte peut se jouer entre les murs de leur lycée. Là où l'on voit souvent qu'une flopée de gamins remuants, pleins de vie, se cachent aussi des bonheurs, les affres des premiers amours, les douleurs suites à la perte d'un être cher. C'est aussi au même moment le soulagement d'y trouver le soutien d'une personne sachant écouter, comprendre ce que ces jeunes peuvent ressentir.
Ce sont ces moments où tout bascule que vont connaître Léa, Ilyes, Clément et Océane. De ces moments, juste le temps d'un cours, où même à leur âge il faut – déjà - faire un choix crucial : se taire ou « vider son sac », affronter le regard de l'autre, demander de l'aide à la CPE ou un conseiller d'orientation qui ouvre une porte possible vers la liberté. Voire même accepter la main tendue par la proviseur-adjointe.

Et comme toujours sous la plume de l'auteur, le ton est juste, pas de sentimentalisme. Ce qui n'empêche absolument pas d'être pris immédiatement d'empathie pour ces gamins.
Il me faut aussi parler de la forme. Car j'ai aimé ces chapitres personnalisés aux noms de chaque gamin, rédigés à la première personne. C'est comme si ces jeunes s'adressaient directement au lecteur. La brièveté des chapitres maintient un suspense fort. La frustration n'est souvent pas très loin. On tourne follement les pages tant on est pris par les interrogations, les sentiments des enfants.

Ce roman est un bienfait à lui tout seul, même si la cruelle réalité n'est pas cachée. Un de ces petits livres – beaucoup trop court d'ailleurs ! - qui aide à voir le lycée autrement, comme un espace de possibles immenses, de toutes les joies, de révélations ou renaissances après la souffrance, lieu d'intégration. Le lycée, à l'âge où tout peut se jouer, est assurément une grande marmite où bouillonnent des vies toutes aussi importantes, intenses les unes que les autres. Alors même s'ils sont jeunes, ce ne sont pas que des sujets de statistiques de réussite ou d'échec, mais bien des êtres humains, des vies en devenir.

A lire, à offrir aux ados comme aux plus grands.

Dédale

Du même auteur : La lettre de Flora, Comme s'ils étaient beaux, 10 ans 3/4, Un cargo pour Berlin, Mon père est américain.
Voir aussi l'interview de l'auteur pour le Biblioblog

Extrait :

Elle contourne le bureau, s'assoit en face de moi.
- Tu veux un thé ? Moi je prendrais bien quelque chose… Thé vert, tu aimes ?
J' acquiesce en silence. Vert, bleu ou arc-en-ciel, peu importe. Je meurs de soif.
Elle met la bouilloire en route. Le sifflement de la résistance plongée dans l'eau emplit l'espace de la pièce. Cela dure un moment, puis l'appareil s'arrête avec un claquement sec. Le bec verseur fume tandis qu'elle me sert. Le sachet tourne dans la tasse dont l'anse est ébréchée. Il s'imbibe, coule vers le fond.
Elle se rassoit, porte le breuvage ambré à ses lèvres mais renonce à boire.
- Trop chaud, dit-elle.
C'est alors, sans transition, qu'elle ajoute :
- Océane, si tu me disais pourquoi tu es venue me voir ? Je sens que c'est important et je suis toute disposée à t'écouter. Et à t'aider si je le peux. Mais d'abord, il faut que tu me racontes ce qui t'amène ici, tu ne crois pas ?
Ses yeux me fixent sans ciller, j'ai l'impression de m'y perdre. Je mords l'intérieur de mes joues, prise de court.
C'est pas possible d'être débile à ce point-là. J'aurai pu m'attendre à cette question, non ? Je m'imaginais quoi ? Rester les fesses posées sur ma chaise jusqu'à midi, muette comme une carpe, à siroter ma boisson chaude ?
Un frisson me parcourt le dos. Je tords mes doigts.
- Moi… J'ai la bouche pâteuse. Je ne reconnais pas ma voix. Elle semble venir d'outre-tombe, appartenir à une autre personne.
- Moi… J'ignore encore ce qui va sortir de ma bouche, mais ce premier mot est celui qui convient. Car, pour la première fois sans doute, je m'apprête à parler de moi. De mon « vrai moi », pas de la façade que j'ai peiné à construire pendant des années. Je vais dire qui je suis vraiment et la raison pour laquelle je me sens si mal, aujourd'hui.
Et je vais le dévoiler à une inconnue.

Là où je vais
Là où je vais de Fred Paronuzzi - Éditions Thierry Magnier – 77 pages