Tout se déroule autour de deux maisons sises à Tortilla Flat, quartier prolétaire de Monterey, Californie. Danny en a hérité à son retour de la guerre de 14-18. Tous étaient des paisanos, sorte des vagabonds patentés. On va suivre ces hommes peu habitués aux soucis de propriétaire ou de locataires.
Danny, Pilon, Jesus-Maria, Big Joe pour ne citer qu'eux font vraiment l'effet d'être une belle bande de bras-cassés. Pas un pour racheter l'autre malgré leur bon fond, leur philanthropie (à leur façon). De gentils poivrots - aux portraits pas piqués des vers - partagés entre la vertu et le vice. Pas bien méchants, travaillant jusque ce qu'il faut parfois pour se nourrir et se payer leurs précieux gallons d'alcool, sans quoi la vie ne vaut rien. Doués pour la débrouille et aussi quand cela les arrange dotés d'une bonne dose de mauvaise foi. Quelle meilleure vie que ces moments passés au soleil sur la véranda en sirotant son gobelet de vin ! Tous sont sympathiques dans leur genre. Tous ont envie toujours de bien faire même si souvent leurs intentions ne donnent pas le résultat attendu. Et on lit les aventures de ces pieds-nickelés avec un sourire constant aux lèvres. On ne peut oublier leur inventivité pour organiser une fête pour Danny ou bien leurs magouilles pour aider une femme seule à nourrir sa tribu d'enfants.
Ensembles, ils forment vraiment un tout indissociable, une réelle entité de personnes différentes qui englobe aussi la maison. On y trouve douceur, joies, peines réellement sincères quand l'un des leurs est dans l'embarras. Mais un jour Danny s'éloigne, change d'état d'esprit quand il ne peut plus supporter le confort d'être propriétaire. Cette situation est trop contraire à sa nature profonde. Paisano, il est, paisano il retourne être.
Bref, voilà un fort plaisant ensemble d’aventures, présentées comme de petites nouvelles indépendantes, assez cocasses et inracontables car sinon elles perdent toute leur saveur. C'est aussi un plaisant tableau de la ville de Monterey dans les années 20. C'est excellent, plein d'humour et de mauvaise fois. L'amitié entre bras-cassés à Monterey. Un régal beaucoup trop court.
Dédale
Du même auteur : Des souris et des hommes, Tendre jeudi, Rue de la Sardine, A l'est d'Eden
Extrait :
Quand le soleil eut dépassé la ligne des pins, quand le sol fut chaud, quand la rosée nocturne commença de sécher sur les feuilles de géranium, Danny sortit sur le perron pour s'installer au soleil et méditer confortablement sur certains événements. Il enleva ses chaussures et ses doigts de pied frétillèrent sur les planches tièdes. Plus tôt dans la matinée, il était déjà descendu jusqu'au carré de cendres noires et de tuyauterie tordue qui avait été sa seconde maison. Il s'était octroyé un mouvement de colère conventionnel et passager contre des amis sans soin, il avait déploré, un instant, le caractère éphémère des biens terrestres, qui rend d’autant plus précieux les biens spirituels. Il avait accordé une pensée à sa position perdue d'homme possédant une maison à louer. Puis, dûment dissipé l'encombrement de ces émotions bienséantes et nécessaires, il avait enfin pu se laisser aller à un sentiment sincère : le soulagement de voir disparaître l'un au moins de ses tourments. « Si je l'avais encore, l'espoir du loyer me rendrait cupide. Mes amis ont été très froids avec moi récemment, parce qu'ils me devaient de l'argent. Maintenant, nous pouvons de nouveau être libres et heureux. »
Cependant, Danny n'ignorait pas que son devoir lui commandait de rappeler ses compagnons à l'ordre, afin de ne pas passer pour faible. C'est pourquoi, installé sur son perron, chassant les mouches d'un geste qui signifiait plutôt un avertissement qu'une menace, il repassait dans son esprit les choses qu'il faudrait dire à ses amis, avant de les laisser intégrer l'abri de sa tendresse.
Tortilla Flat de John Steinbeck - Éditions Folio - 254 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Brigitte V. Barbey.
Commentaires
vendredi 8 mars 2013 à 11h02
Merci, chère Dédale, de raviver avec cette chronique le souvenir d'une de mes plus heureuses lectures d'adolescent. Je l'ai lu à l'époque dans sa langue d'origine parmi d'autres romans américains et après la gravité du beau The red badge of courage de Stephen Crane, Tortilla Flat fut un véritable enchantement, presque aussi décapant et inspirant que Boris Vian ou Raymond Queneau que nous découvrions dans le même temps.
vendredi 8 mars 2013 à 11h42
Merci à toi, Jnf, de m'avoir parlé de ce titre. Cette lecture a été un excellent moment. Entre deux lectures aux sujets plus graves, cela fait un bien fou.
vendredi 8 mars 2013 à 21h07
Lu quelques jours après mes 18 ans pendant mes vacances. J'avais adoré comme la plupart des Steinbeck que j'ai lu.
dimanche 10 mars 2013 à 09h44
Comme jnf je repense avec bonheur au plaisir que m'avait apporté la lecture de Tortilla Flat - mais en français pour ma part. Et la question du confort (ou non) d'être propriétaire résonne avec une grande actualité dans notre période de crise généralisée.
Tu nous as donné envie de nous replonger dans l'univers de l'auteur des Raisins de la colère : merci !
jeudi 4 avril 2013 à 21h31
Kikine : Exact, tous les ouvrages de Steinbeck sont remarquables chacuns à leur façon.
Alice-Ange : de rien.