Comme dans un rêve, l'intrigue est une suite d'épisodes qui, s'ils ont une certaine logique, peuvent paraître décousus. Ainsi, en une journée, le héros-narrateur traverse toute la ville, allant des quartiers historiques du centre-ville aux bords du Tage, avec une excursion en train vers les plages à l'ouest. Les rencontres sont nombreuses, diverses et entraînent le narrateur vers un rendez-vous qu'il attend ardemment avec un mystérieux visiteur, à minuit.

On suit cet inconnu, passé en un instant d'une ferme de l'Alentejo aux faubourgs de Lisbonne par la magie du rêve, avec un grand plaisir. Si le fond est onirique, le tout est empreint d'un certain réalisme, ce qui donne une touche paradoxale à l'ensemble de l'ouvrage. Par exemple, le narrateur est obligé de rendre visite à une vieille gitane pour acheter des chemises de rechange, les siennes étant détrempées par la sueur.

On ne cesse de passer d'un épisode réaliste à une histoire fantasmée. Au fil du récit, on passe un moment au bar du musée des Arts Antiques de Lisbonne, où le barman veut absolument faire goûter au narrateur un cocktail de sa composition. On visite également le musée, avec un arrêt devant un tableau de Jérôme Bosch, La tentation de Saint-Antoine (très beau tableau, par ailleurs), où le narrateur entame une longue conversation avec un peintre copiste, autour du thème du détail.

L'alimentation occupe également une place importante. Le narrateur ne cesse de manger, le plus souvent des plats typiques de la région de l'Alentejo, au sud du Portugal, qui doit notamment sa renommée à son plat typique qui mêle porc et palourde (un vrai régal !). D'ailleurs, une grande partie des personnages rencontrés sont eux aussi originaires de cette région. Une coïncidence digne de celle des rêves longs et complexes !

Mais le point culminant du roman est la rencontre de la fin de la nuit. Le narrateur la passe  avec son hôte mystérieux, qui par ses références et son discours évoque irrésistiblement Fernando Pessoa, le plus célèbre des écrivains lisboètes. La figure tutélaire des lettres portugaises est ici au service du récit et finit par donner à cette promenade hallucinatoire une force et une vigueur tout à fait mémorable.

Yohan

Extrait :

La toile qu'il peignait avait au moins deux mètres de long sur un mètre de haut, et les personnages de Bosch, agrandis à cette échelle, produisaient un effet bizarre : ils étaient d'une monstruosité qui soulignait la monstruosité de la scène. Mais que faites-vous, demandai-je donc stupéfait, que faites-vous donc ? Je copie un détail, dit-il, vous ne le voyez pas de vos propres yeux ? je copie tout simplement un détail, je suis un peintre copiste et je fais des copies de détails. Je n'avais jamais vu un détail de Bosch reproduit à de pareilles dimensions, objectai-je, c'est quelque chose de monstrueux. Peut-être, répondit le Peintre Copiste, mais il y a des gens qui aiment ça. Bon, dis-je, pardonnez ma curiosité, mais je ne comprends pas pourquoi faire une chose pareille ? Cela n'a pas de sens. Le Peintre Copiste posa son pinceau et s'essuya les mains avec un chiffon. Cher Monsieur, la vie est bizarre et il arrive dans la vie des choses bizarres, par-dessus le marché ce tableau est bizarre et il est source de choses bizarres.

Requiem
Requiem - Une hallucination d'Antonio Tabucchi - Éditions Christian Bourgois - 140 pages
Traduit du portugais par Isabelle Pereira avec la collaboration de l'auteur