Rien, apparemment, si ce n’est une très grande solitude, un vrai désespoir et qu’à part Fatma accrochée à la vie grâce à son talisman, un petit lézard, et qui a connu tellement pire, les autres n’aspirent qu’au néant. Mais tous, qui pour des raisons diverses sont des oiseaux de nuit, se retrouvent grâce au bon vouloir de l’auteur à L’Oasis le bien nommé, snack-bar au bord de l’autoroute de La Corogne, ou à côté, au bordel Le Cachito quand ce n’est pas à l’hôpital le San Felipe, où fut (mal) soignée Rita, l’épouse de Matias, et où travaille (mal) Daniel.

Dans ce noman’s land, à la périphérie de Madrid, ces êtres traînent leur non-vie d’automates. Et pourtant, de quelques paroles échangées entre Matias et le Cerveau va naître une sorte d’espoir. Matias, homme simple et bon, sensible à la pédagogie distillée par le Cerveau, va trouver des forces pour « sauver le monde ». En l’occurrence, Fatma, le Cerveau et de façon provisoire Daniel, et ce faisant, se sauver lui-même. Car comme le dit le Cerveau, La vie est tenace, la vie s’obstine aveuglément à continuer à vivre.

Instructions pour sauver le monde de la romancière espagnole Rosa Montero dépeint avec une tendresse mêlée de sarcasme un monde en folie où le virtuel des jeux vidéo prend le pas sur le réel, où des jeunes gens sans histoire font exploser des bombes réelles, où le mal peut paradoxalement engendrer le bien, où même des brutes ont leur lueur de conscience. Ce monde, le nôtre, ne peut être sauvé que par l’attention portée aux autres et l’amour. Il disait que, en fonction de ce que nous faisions, nous contribuions à mettre de l’ordre dans la matière et à créer de l’harmonie, ou bien à la désordonner et à déchaîner de fracassants processus d’instabilité et de fureurs chaotiques. Rien de bien neuf dans tout ça, mais c’est bien de l’entendre ! Et ce conte philosophique drolatique et intelligent emporte le lecteur sans faiblir jusqu’à la dernière page.

Marimile

Du même auteur : Le roi transparent, Des larmes sous la pluie, La fille du Cannibale

Extrait :

Daniel se leva, émergeant du cocon de fumée dans lequel il était plongé, et s’en alla à la cuisine se préparer un whisky on the rocks. Sortir les glaçons de leur bac fut une plaie, car le frigidaire était vieux, le congélateur marchait mal et le bac à glace se transformait toujours en petit iceberg de l’Antarctique impossible à manier. Il détestait avoir à extraire les glaçons de leurs moules jour après jour pour ses fréquents verres d’alcool. La vie était pleine de ces petites choses désespérantes, la vie était une pure accumulation de moments d’ennui et de mal-être. Devoir se raser tous les jours par exemple ; et parcourir aux heures de pointe l’avenue de Buenos-Aires qui débouchait sur l’hôpital : ce n’était qu’un kilomètre de rue divisé par trois feux, mais il pouvait parfois mettre trente minutes pour faire ce trajet. Autre broutille embêtante : avoir une gueule de bois monstrueuse et qu’il n’y ait plus d’aspirine. Ou devoir noter une information urgente et que le stylo n’écrive pas. Pire encore : mettre la main dans sa poche et la ressortir toute barbouillée parce que l’encre du feutre avait coulé… A chaque instant il se produisait quelque chose d’affligeant, d’odieux, de détestable, une petite chose peut-être, mais suffisamment capable de vous aigrir la vie, comme de devoir poignarder ce foutu iceberg pour en extraire les glaçons, ce qui vous laissait les mains douloureusement congelées et vous faisait courir le risque de vous couper les doigts.

Instructions pour sauver le monde
Instructions pour sauver le monde de Rosa Montero - Éditions Métailié - 270 pages
Traduit de l’espagnol par Myriam Chirousse.