Une narratrice atteinte de la maladie d'Alzheimer, voilà une façon singulière d'aborder le genre du polar, et fait perdre au lecteur ses repères habituels. Incapable de se repérer dans le temps, mélangeant sans cesse passé et présent, ne reconnaissant pas les gens qui lui sont proches, Jennifer évolue dans un monde qui lui est hostile parce qu'elle ne le comprend pas. Dans la même scène, Jennifer peut parfaitement se souvenir qu'elle est malade, veuve et mère de deux enfants aujourd'hui adultes, mais l'oublier dans les 5 minutes qui suivent et se croire encore jeune étudiante à la faculté. Et Alice Plante rend parfaitement cette confusion mentale.

Le discours à la première personne est réellement la bonne trouvaille de ce récit. Au fil du roman et de l'enquête, la maladie s'aggrave et la narration se fait de plus en plus chaotique. Comme un disque rayé, Jennifer fait des sauts dans le temps, revit les mêmes scènes, celles où on lui explique pour la énième fois que sa meilleure amie est morte et qu'elle est suspectée d⁽être mêlée à l'affaire.
Intéressant également de voir comment les proches réagissent autour d'elle : la police qui a bien du mal à mener son interrogatoire ; ses enfants qui voyant la maladie évoluer se demandent comment la prendre en charge.

Roman policier ou roman sur la maladie d'Alzheimer ? Les deux sans doute. C'est en tout cas une expérience singulière qui vous fera perdre tout vos repères et se lit avec plaisir.

Laurence

Extrait :

Cet-homme-dont-ils-disent-qu'il-est-mon-fils s'installe dans le fauteuil bleu près de la fenêtre du grand salon. Il desserre sa cravate, allonge les jambes, fait comme chez lui.
Magdalena m'a dit que tu allais bien.
Très, dis-je sèchement. Aussi bien qu'une personne dans mon état peut l'être.
Parle m'en, dit-il.
Que veux tu savoir ?
À quel point es-tu consciente de ce qui t'arrive.
Tout le monde me pose la question, dis-je. Ils sont étonnés que je puisse être aussi conscience, tellement…
Rationnelle, dit-il.
Oui.
Tu l'as toujours été. Il a un sourire ironique, pas très plaisant. Quand je me suis cassé le bras, tu étais plus intéressée par la densité de mon os que préoccupée de m'emmener à l'hôpital.
Je me rappelle quelqu'un se cassant le bras, dis-je. Mark. C'était Mark. Mark est tombé d'un érable devant chez les Janecki.
Je suis Mark.
Toi ? Mark ?
Oui, ton fils.
J'ai un fils ?
Oui, Mark. Moi.

Absences
Absences d'Alice LaPlante - Éditions Robert Laffont - 410 pages