W. Faulkner nous plonge au sein de la famille d'Addie Bundren et de son mari Anse. Quand débute le roman, Addie est mourante. Via les monologues intérieurs des membres de la famille et les voisins Tull, le lecteur suit les longues obsèques d'Addie : fabrication de son cercueil par son fils Cash, la visite du médecin, l'entêtement d'Anse à respecter la volonté de sa femme et aussi à retarder le départ vers Jefferson. Ce transport défiant l'entendement est l'occasion pour l'auteur nous offrir une galerie de portraits extraordinaire, des personnalités surprenantes. Étrange que cette famille Bundren !
Commençons par les enfants. Cash, l’aîné, est charpentier, boiteux depuis une chute d'un toit. Il ne peut se séparer de sa caisse à outils. Darl, le deuxième fils est soi-disant fou. Seule Cora Tull, la pieux voisine le considère plus comme un visionnaire. Puis vient Jewel, le fils adultérin d'Addie. Il n'aura de réel repos d'esprit (et encore ! ) que du jour où il disposera d'un cheval pour lui seul. Un canasson aussi perturbé et nerveux que son jeune propriétaire. Il y a aussi Vardaman, le dernier garçon de la couvée Bundren. Ce petit semble vraiment perturbé par la mort de sa mère. Il est persuadé qu'elle s'est transformée en poisson lors du passage de la rivière. On n'oubliera pas, Dewey Dell, l'avant dernière et la seule fille de la tribu. Elle va en ville pour des raisons toutes personnelles.
Et bien sûr, il y a Anse, le père. Un drôle de lascar, celui-là ! Il est faible, bon fainéant, fieffé rusé et têtu. Il a le don de susciter l'apitoiement sur son sort et ainsi de faire faire son travail par d'autres, ses enfants et ses voisins, en tout premier lieu V. Tull. Comme le dit un autre voisin : le seul fardeau qu'Anse Bundren ait jamais eu à porter, c'est lui-même.
Au fil de ces pensées pas toujours fluides, ne respectant pas toujours la chronologie des faits, donc pas aisées à suivre - on sait combien l'auteur a pris le parti de toujours placer le lecteur en situation sans la moindre explication préalable - on est sidéré devant cette famille totalement folle à lier. Pas un pour racheter l'autre. Sauf peut-être Darl, finalement. On ne peut donc que s'insurger face au sort qui lui est infligé par son père une fois arrivés à la ville.
Je ne vous raconte pas le déroulé de ce surprenant et dérangeant voyage funèbre. Il vaut pourtant le détour ne serait-ce que pour ces personnages hors du commun mais surtout pour la langue de W. Faulkner. Une langue âpre, rude, implacable comme la terre où vivent ces gens de cette campagne pauvre du Sud profond.
Lire Faulkner, ce n'est jamais de tout repos. Mais quelle maestria !
Dédale
Du même auteur : le bruit et la fureur, Sanctuaire
Extrait :
Anse
Ce pays est dur aux hommes, bien dur. Huit miles de leur sueur arrachés à la terre du Seigneur, là où le Seigneur lui-même leur avait dit de la faire couler. Dans ce monde de péché, les hommes honnêtes et travailleurs ne peuvent pas profiter. C'est ceux qui possèdes des magasins dans les villes qui, sans sueur, vivent de ceux qui suent. C'est pas le travailleur, le paysan. Des fois, je me demande pourquoi nous continuons. C'est à cause de la récompense qui nous attend là-haut, là où ils ne peuvent pas emmener leurs autos ni le reste. Tout le monde sera égal, là-haut, et le Seigneur prendra à ceux qui ont, pour donner à ceux qui n'ont pas. Mais ce n'est pas encore pour tout de suite, à ce que je crois. Ça n'est pas juste qu'un homme ait à gagner la récompense de sa bonne conduite en se bafouant, lui et ses morts. Nous avons roulé toute la journée, et nous sommes arrivés chez Samson au crépuscule, et là aussi, le pont avait disparu. Ils n'avaient jamais vu ni entendu rien de pareil de mémoire d'homme. Je suis l'élu du Seigneur car celui qu'Il aime, Il sait aussi le châtier. Pourtant, c'est pas pour dire, mais je trouve qu'il emploie de drôles de moyens pour le prouver.
Enfin, maintenant, je pourrai me faire mettre ces dents. Ça sera bien commode. Pour sûr.
Tandis que j'agonise de William Faulkner - Éditions Folio - 254 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Maurice-Edgar Coindreau
Commentaires
jeudi 21 mars 2013 à 10h31
Pas un de mes préféré de l'auteur.
jeudi 4 avril 2013 à 21h27
Ce n'est pas trop grave car l'auteur a été productif et donc il y en a pour tous les goûts.