Catherine II de Russie est l’objet de tous les fantasmes et de tous les délires dans l’imaginaire collectif russe, tour à tour présentée comme avide de pouvoir, nymphomane collectionnant les amants ou encore grande républicaine selon les pensées politiques de chacun. Mais qui était-elle vraiment ? Voilà LA question qui anime Oleg, question qui devient la quête de toute une vie.  Catherine multipliait les amants, mais un seul d’entre eux l’a-t-il jamais aimée pour elle-même ? Qui était la femme, derrière l’impératrice ?
Vivre de son art et vouloir être libre de s’exprimer est plus que difficile sous le régime communiste des années 80 ; mais Oleg est un idéaliste, et il ne veut pas trahir sa Catherine. Le scénario qu’il imagine, contre toute attente, est validé par le Comité d’Etat, grâce à l’indépendance d’esprit du vieux Lourié.  Commence alors le tournage d’un film qui sera déterminant dans la vie d’Oleg.

On navigue ainsi avec plaisir entre les deux époques : la seconde moitié du XVIIIe siècle, à la cour de Catherine, et l’on fait connaissance avec les frères Orlov, avec l’omniprésent Potemkine et le sincère Lanskoï ; et les années 80 et 90, toujours en Russie, avec Oleg, ses amis du monde du cinéma, ses compagnons d’infortune de l’abattoir où il travaille pour gagner de quoi vivre quand le cinéma ne suffit plus, ses voisins de misère de l’appartement communautaire, ses souvenirs familiaux avec son père qui vit dans la nostalgie d’une Allemagne qu’il n’a pourtant pas connue…

Andreï Makine m’avait éblouie avec Le Testament français. Sans atteindre les mêmes sommets, ce roman m’a tout de même permis de retrouver avec bonheur le talent de cet écrivain à la plume plutôt classique (au sens noble du terme). Il teinte son œuvre d’une sorte de mélancolie qui donne à l’ensemble des accents de vérité, de sincérité, qui font qu’on s’attache à son monde et à ses personnages. A force de vivre dans les archives pour découvrir Catherine, Oleg a l’impression de l’avoir réellement connue, d’en avoir un réel souvenir ; et c’est également ce que j’ai ressenti moi aussi.

Force m’est tout de même de tempérer un peu mon enthousiasme. Ceux qui s’attendent à lire une biographie de la Grande Catherine seront probablement déçus : la tsarine est toujours présente en filigrane,  mais le véritable héros ici, c’est Oleg, ce Russe d’origine allemande, qui se sent allemand en Russie et russe en Allemagne, à l’histoire familiale difficile et ayant bien du mal à savoir qui il est en définitive. J’aime ce type de personnage, mais je suppose que l’impossibilité manifeste d’Oleg a être heureux pourrait agacer certains lecteurs.

Mais bon, c’est écrit par Andreï Makine, alors rien que pour cette raison, je vous le recommande.

Kali

Extrait :

 Oleg pensa à la censure, aux écoutes téléphoniques, à tous ces interdits que dénonçaient les amis de Lessia. Il comprenait, désormais, que l'impossibilité de s'exprimer ne tenait pas seulement à cela. Bien plus difficile à dire était une nuit de brume, une allée d'arbres nus en attente de l'hiver, le silence d'une femme qui se sentait tout autre que l'illustre tsarine dont elle portait le nom.

Une femme aimée
Une femme aimée d'Andreï Makine - Éditions du Seuil - 362 pages