Les débats entre Bory et Charensol ont pour sujet le cinéma, et se situent dans les années 60 et 70. D'un côté, on trouve Bory, le défenseur du cinéma d'auteur, de films parfois difficiles, très friand des expériences nouvelles comme celles de Jean-Luc Godard et allergique au cinéma français qu'il considère d'arrière-garde, comme ceux de Lautner ou de Gérard Oury. En face de lui, pour alimenter le débat, Georges Charensol. Moins passionné dans la discussion, il défend surtout ce qu'il appelle le cinéma populaire, celui qui amène de nombreux spectateurs dans les salles. Delon et Belmondo, même dans Le cerveau, sont pour lui des valeurs sûres.
Au-delà de la querelle de l'ancien contre le moderne, très présente dans leurs échanges, la réécriture et l'adaptation des émissions donne à lire (et à entendre, car on ne peut s'empêcher d'entendre les échanges des critiques, même pour ceux qui n'ont pas connu Bory et Charensol) toute la fougue et la mauvaise foi qui pouvait naître de ces discussions. Un peu comme si chacun jouait le rôle qui lui était dévolu, en rajoutant toujours un poil pour dénoncer la posture du débatteur.
Alors, il y a bien entendu les films sur lesquels ils sont irréconciliables, comme Théorème de Pasolini, défendu par Bory et descendu par Charensol. Ils discutent de Truffaut, de Demy, de Marco Ferreri, de réalisateurs aujourd'hui oubliés comme Pierre Grimblat (dont ils ont pourtant tous les deux apprécié le film avec Jean-Pierre Marielle et Marie Laforêt). Et puis, il y a les accords, en particulier sur Cris et Chuchotements de Bergman. Ou, plus surprenant, les ratés, ces films qui marquent des générations et l'histoire du cinéma et qu'ils n'ont pas su apprécier. L'exemple pris ici est celui du Parrain de Coppola, qu'aucun des deux ne défend en raison de sa longueur !
C'est une plongée vraiment très ludique et passionnée dans le monde de la critique cinématographique des années 60 et 70, avec deux critiques qui aiment débattre, apprécient la joute verbale, et s'y emploient du mieux possible. De ce fait, l'adaptation théâtrale par François Morel et Olivier Broche prend tout son sens et le texte mérite vraiment d'être lu, car la lecture permet de découvrir tout le sel de ces débats très animés.
Extrait :
Charensol. - Et Georges Lautner ? C’est un réalisateur extrêmement honorable. Par exemple avec Mort d’un pourri, il est parti d’un scénario horriblement compliqué, horriblement difficile et même, disons-le, très mauvais et il a fait un film…
Bory revient avec deux esquimaux, il en offre un à Charensol. Ils poursuivent leur conversation en mangeant leurs esquimaux.
Bory. - … très mal joué.
Charensol : clair, intéressant et admirablement joué par une équipe d’acteurs incomparables parmi lesquels Alain Delon, Jean Bouise, Mireille Darc, Ornella Muti, Maurice Ronet et quelques autres… eh bien je trouve que Lautner a fait admirablement son métier, je ne vous dis pas que c’est un chef-d’œuvre incomparable. Je vous dis que c’est un très honorable film commercial. Il s’agit, vous devriez boire du petit-lait, il s’agit d’un flic qui est en même temps un assassin. C’est bien ça ?
Bory. - Moi je soutiens que le film est nul.
Charensol. - Tu ne l’as même pas vu.
Bory. - Comment ?
Charensol. - Tu dis ça systématiquement à partir du moment où c’est signé Lautner.
Bory. - Mais pas du tout, il y a des Lautner que j’ai aimés. Pardon mais ça, c’est très important pour le film : c’est « Alain Delon présente Alain Delon ».
Instants critiques d'Olivier Broche et François Morel - Éditions Les solitaires intempestifs - 80 pages
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