Elle s'y « essaie » à plusieurs genres ; critique littéraire (Nabokov, Barthes, Kafka, George Elliot, Zora Neale Hurston et j'en passe), critique cinématographique (entre autres, Bellissima de Visconti, les actrices Katharine Hepburn et Garbo), reportages (Une semaine au Liberia), récits autobiographiques (Un Noël chez les Smith, Héros accidentel), réflexions sur le métier d'écrivain (Cent fois sur le métier), hommage posthume à David Foster Wallace. On trouve donc de tout dans ce recueil, dans lequel Zadie Smith fait preuve d'un grand éclectisme, sautant allègrement d'une critique littéraire pointue (les rapports auteur-lecteur chez Barthes et Nabokov) à un reportage drolatique sur la soirée des Oscars. Mais tous ces éléments apparemment disparates sont canalisés et ordonnés en cinq grandes parties. « Lire », « Être », « Voir », « Sentir », « Se souvenir », qui sont comme le credo d'une romancière assoiffée de lectures, passionnée d'écriture et qui prend à bras le corps la vie et la littérature. Loin de se cacher derrière une critique neutre et impersonnelle, elle revendique haut et fort le droit d'être elle-même, de Changer d'avis au gré de son évolution personnelle. Issue de plusieurs cultures, elle ne veut se laisser enfermer dans aucune catégorie que ce soit celle de la communauté noire ou celle des intellectuels blancs, ce qui ne va pas sans tiraillements.
Dans tout ce foisonnement, certaines pages m'ont particulièrement touchée : la lecture qu'elle fait du roman de l'écrivaine Zora Neale Hurston, Une femme noire auquel elle refuse d'abord de s'identifier, mais qui pour elle va être l'incarnation du soulful, terme qui « désigne un supplément d'âme, une éloquence pleine de dignité et de mélancolie, que l'on attribue souvent à l'expression musicale ou littéraire noire américaine ».
D'un humour très british sont les pages dédiées à son père, « héros malgré lui » du Débarquement, et qui, 50 ans après a envie d'avoir des médailles qu'il avait toujours refusées jusqu'alors. C'est encore l'humour qui va réunir la fille et le père à l'heure de la mort de ce dernier auquel d'ailleurs le livre est dédié.
Dans Changer d'avis, c'est un personnage hors du commun qui se dévoile ( ? ) avec son énergie, son humour, son amour et sa foi dans l'art et la vie, et là réside selon moi sa réussite. Vous avez dit « Essais » ?
Marimile
Du même auteur : L'hormme à l'autographe
Extrait :
Quand j'avais quatorze ans, ma mère m'a offert Une femme noire. Je n'avais aucune envie de lire ce livre. Je savais parfaitement pourquoi elle me le donnait, et je n'appréciais guère ce que cela impliquait. De la même manière, elle m'avait mis entre les mains La Prisonnière des Sargasses et L'oil le plus bleu, et je n'avais aimé ni l'un ni l'autre (ou plutôt, je ne m'étais pas autorisée à les aimer). Je préférais ma propre liste de lecture, hétérogène, que j'établissais en toute liberté. Je me félicitais d'avoir des goûts éclectiques, et ne choisissais jamais les livres en fonction des origines raciales ou socioculturelles de leurs auteurs. Voyant qu'une femme noire était restée sur la table de nuit sans même que je l'ouvre, ma mère a insisté :
Je te dis que tu vas aimer.
- Pourquoi, parce qu'elle est noire ?
- Non, parce qu'elle écrit vraiment bien.
- J'avais ma propre idée sur ce que bien écrire signifiait, et les aphorismes, le lyrisme outrancier, les images fantastiques, le parler « indigène » scrupuleusement rendu et les vicissitudes amoureuses des femmes ne faisaient pas partie de cette catégorie. Je me méfiais donc au plus haut point littérairement parlant, d'Une femme noire. Puis j'ai lu la première page.
Changer d'avis de Zadie Smith - Éditions Gallimard - 405 pages
Traduit de l’anglais par Philippe Aronson.
Commentaires
samedi 20 avril 2013 à 12h50
Merci Marimile d'attirer notre attention sur cette auteure britannique vraiment intéressante. J'ai lu
, son premier roman, et son style très singulier faisait déjà mouche. Une tentative de suicide avortée, une famille recomposée pour le moins originale, et la vie d'un bangladeshi nous éclairaient déjà sur le Royaume Uni qui pratique un melting pot qui intègre beaucoup plus que notre République n'accueille ses minorités visibles.Un livre dont je garde un vif souvenir, et qui me donne envie maintenant de changer d'avis...
samedi 20 avril 2013 à 13h39
Merci Alice-Ange. J'ai aussi dans ma pal "Sourires de loup" dont Zadie Smith dit elle-même qu'elle n'a jamais réussi à le relire parcequ'il lui "donnait la nausée"! mais je vais quand même tenter l'aventure...
samedi 20 avril 2013 à 16h41
Zadie Smith fait sans doute de l'humour ... elle n'en manque pas.
Depuis elle a fait d'ailleurs un beau trajet en écriture, parallèlement à Hanif KUREISHI dont nous avons déjà parlé à propos d'un autre billet. Décidément ces minorités visibles renouvellent la langue de leur pays d'adoption !