Quel est le lien entre Laurie, une jeune française voulant absolument changer de vie, Rudy, un danois qui a tout perdu dans un récent attentat, Anthony Fuller, P.-D.G.richissime et bourré aux médocs d'une des plus grandes multinationales mondiale et Fatimata Konaté, la présidente du Burkina-Faso ?
A priori, aucun.
Sauf que Laurie et Rudy vont être employés par SOS, une ONG d'entraide contactée par Fatimata pour convoyer du matériel de forage jusqu'au Burkina et aider les burkinabés à exploiter la nappe phréatique découverte dans leur sous-sol. Découverte revendiquée par Anthony Fuller, propriétaire du satellite qui a pris la photo, qui désire l'exploiter à son propre compte pour renflouer ses propres caisses et ramener de l'eau aux USA.

Ajouter à cela une milice de fanatiques religieux, une économie mondiale précaire, une situation globale chaotique. Saupoudrer avec du bangré (sorte de magie de l'Afrique noire) et une pincée de perception extra-sensorielle et enfourner à 45°C minimum (température moyenne annuelle du Midi de la France).

Servir le tout en 2030 sur fond  de début de fin du monde...

Jean-Marc Ligny est un auteur très prolifique de Science-Fiction et de romans d'anticipation à portée très largement écolo.
Avec Aqua ™, il imagine notre (pauvre) planète dans une quinzaine d'années. Et le résultat n'est vraiment pas joli à voir. Des déserts qui avancent partout. Des enclaves protégées aux USA où les gens riches sont cloîtrés pour maintenir un semblant de vie et de cohésion sociale. Des températures extrêmes, des intempéries incontrôlables et dangereuses.
Hors des enclaves, des gangs d'Outers font régner le chaos. A mi-chemin entre New York 1997 et Mad Max.
Laurie abandonne sa maison Malouine dont le rez-de-chaussée est constamment inondé. La digue qui protège Saint-Malo ne contient plus grand chose. Si elle rompt, c'est la fin de la ville.

Les Pays-Bas viennent d'être plus ou moins rayés de la carte suite à un attentat à la bombe sur une digue. Rudy a perdu tout ce qu'il possédait dans cette catastrophe.

Tout l'ouvrage est extrêmement réaliste. Les descriptions solidement documentées apportent un degré de précision qui fait froid dans le dos. Le périple de Laurie et Rudy à travers l'Afrique pour rejoindre le Burkina, la traversée des différents déserts, leurs rencontres avec des peuplades nomades ainsi que les us et coutumes de plusieurs de ces peuples sont si précis, si authentiques qu'on a l'impression de faire partie du voyage.
De la même manière, on s'insurge contre les prétentions totalement iniques de Fuller. Sa volonté de mettre un pays entier à genoux pour simplement satisfaire sa soif (au sens propre et au figuré) de pouvoir, quitte à décimer plusieurs millions d'habitants. Le système économique libéral est plus que pointé du doigt ici. Il est fortement maltraité et mis en avant comme un système profondément injuste, favorisant les riches jusqu'à l'excès tout en réduisant les pauvres en poussière.

Ce roman, avec une thématique plutôt alarmiste sur les dérives de notre système économique et l'avenir de notre planète, est servi par une écriture précise, documentée, intelligente. Chaque mot est à sa place et a une signification. Pas de hasard non plus dans la construction du roman qui dénonce une logique implacable et met en place une progression impitoyable des événements sans possible retour en arrière, jusqu'à l'apogée.

L'auteur enferme le lecteur dans les problèmes écologiques liés à la dégradation de la planète et à la maltraitance de la part des élites. Une dénonciation extrêmement précise de ce système est faite par la description des comportements durant un congrès sur l'éconogie (éco - nomie / éco - logie). De juste odieux, les personnages en deviennent malsains, criminels. Et c'est le plus normalement du monde qu'ils décident de l'avenir de toute une planète dans une débauche d'argent, une orgie de luxe et de gaspillage totalement hors de propos.

Quel dommage, vraiment, que ce genre de roman soit si mal considéré (et sûrement jamais lu, voire inconnu) par les gens que cela devrait concerner au premier chef... Je le déplore souvent, et je doute que ce soit près d'être résolu.
Quoi qu'il en soit, c'est un très bon roman d'anticipation. Espérons que l'avenir dépeint ici ne devienne jamais une réalité. Même si l'auteur a inventé la suite en mettant en place la fin du monde dans un roman titré Exodes. Une troisième partie est d'ailleurs à l'étude, qui se déroulerait après l'apocalypse et bouclerait ce triptyque de la fin du monde (Avant - Pendant - Après) mais pour l'instant rien n'est écrit.

Aqua™ est un roman fort, prenant, déroutant parfois, militant, qui ne laisse pas le lecteur souffler et le lâche avec regret à la fin. Mais le texte reste gravé en mémoire. Ce combat pour la survie. Pour la vie. Qui transcende les barrières politiques et ethniques, les langues et les lois. A mettre entre toutes les mains. Surtout celles qui en ont besoin...

Cœur de chêne

Extrait :

... Bref, toute l'Europe est atterrée par l'ampleur de cette catastrophe qui, je vous le rappelle, a causé hier soir la perte de deux à trois cent mille vies humaines et de plus de cinq millions de foyers, selon les première estimations. Notre présidente, Madame Fatimata Konaté, a aussitôt envoyé un message de condoléances et de soutien à la reine Juliana II et au peuple néerlandais, dans lequel elle déclare, je cite....

[...] La famille du maire de Kongoussi est scotchée devant la vieille télé 16/9 qui trône dans le salon pénombreux, aux persiennes closes sur la fournaise. La clim est en panne, le ventilo ne brasse que les ondes de chaleur, il fait 45° dans la pièce et l'écran de la télé au bord de la surchauffe tressaute par moment. Les images glauques des Pays-Bas noyés sous les eaux qui sont diffusées en boucle depuis le début du journal paraissent à la famille Zebango venir d'une autre planète. Ils contemplent bouche bée ces immensités liquides, plombées par un ciel lourd et bas crachinant sur les ruines.
C'est Félicité, la fille cadette, qui exprime la première une opinion sans doute partagée :
— Tch ! C'est pas juste : les autres là, ils crèvent d'avoir trop d'eau, et nous d'en avoir pas assez. Ils devraient nous en donner !
— Félicité, tais-toi ! gronde sa mère Alimatou. C'est trop grave, tout ça. Faut pas plaisanter avec la mort.

Félicité à raison, se dit Etienne, son père. Trois cent milles noyés aux Pays-Bas, c'est une catastrophe mondiale. Un million et demi de morts chez nous à cause de la sécheresse, on n'en parle même pas. Tout le monde s'en fout, du Burkina.

Aqua TM
Aqua™ de Jean-Marc Ligny - Editions L'Atalante - 730 pages