La place de Clarice dans notre vie demeura singulière tout au long de ces années. Elle ne devint ni ma sœur adoptive ni mon premier amour. Pourtant, elle se mua sous mes yeux en une jeune femme qui ne manquait ni d’atouts physiques ou de charme, et encore moins d’intelligence.
Clarice transforme le duo père-fils en trio. Et tout va pour le mieux jusqu’à ce qu’on découvre que Simon a une tumeur au cerveau. Grain de sable dans une machine bien huilée qui devait conduire le père à voir son fils triompher.
Je vais partir après la chimio. En Israël. Dès que j’aurai repris un peu de force
déclare Simon à son père qui n’en revient pas.
Est-ce la rencontre sur un banc avec Amir, un jeune homme juif qui l’a aidé à rentrer chez lui le jour où il a appris la fameuse nouvelle ? Pas seulement. Ce serait plutôt le contraire d’un pèlerinage. Simon s’interroge sur sa judéité paternelle, et Amir devient le nouveau membre du trio puisque Clarice est partie étudier en Australie. Il faut dire que ses bonnes manières sont indiscutables, sa politesse exquise, et qu’il apporte la légèreté qui manque au duo père-fils depuis l’annonce de la maladie.Amir, j’en avais conscience, séduisait mon père encore plus que moi, en éveillant le souvenir d’une certaine insouciance.
Amir devient donc le confident du père et du fils.
Simon a été traumatisé par une séance chez le Docteur Coupez qui lui a annoncé un effet secondaire fâcheux du traitement par chimiothérapie. Un effet secondaire d’autant plus regrettable qu’il est souligné par l’absence de présence féminine dans cette histoire masculine.
S’agit-il d’homosexualité entre les deux jeunes hommes ? Pas vraiment.
Le père, qui après avoir fini une traduction décide de le rejoindre Israël, est-il séduit par l’érudition d’Amir ? Sans doute. Mais rien ne peut résumer à quelques mots.
Mais c’est aussi le combat contre la maladie et la colère que ressent Simon qui sont touchants. Et le lien avec la musique qui les unit tous les trois - et qui dit mieux que par des mots l’affection mutuelle entre les trois hommes.
Tu le sais déjà, ou tu es en train de l’apprendre, on ne comprend pas toujours pourquoi on aime quelqu’un. En tout cas, j’ai toujours été incapable d’y voir clair.
C’est ce que dit son père à Simon. Et cela résume bien le livre.
Et quand enfin Clarice rejoindra les trois hommes à Jérusalem, le trio deviendra quatuor et apportera la touche féminine et pleine d’humour qui manquait peut-être à Simon. Un quatuor harmonieux, qui mènera à une fin ouverte, avec une mise en abyme finale très réussie.
On refermera donc simplement le livre avec une touche de nostalgie et de douceur devant la finesse de l’écriture et la description des sentiments, ambivalents et ambigus, mais toujours très justement décrits.
Autres ouvrages de l'auteur : Les bains de Kiraly, De lait et de miel
Alice-Ange
Extrait :
- Je n’ai pas l’intention de vous raconter ma vie, ce soir, rassurez-vous tous les deux. En plus, elle n’est pas passionnante. Je veux simplement que tu comprennes, Simon, que j’étais angoissé et malheureux quand tu es tombé malade, mais pas uniquement : en plus de mon chagrin, je n’avais personne à qui en parler. Du coup, quand tu es arrivé dans notre vie, Amir…
Quand ce dernier essaya de dire quelque chose, mon père lui fit comprendre d’un signe de la main de le laisser poursuivre.
- Depuis notre installation à Paris, j’avais entretenu de bonnes relations avec quelques éditeurs et un ou deux collègues. Quelques déjeuners de temps en temps, suivis parfois d’une aventure dans l’après-midi, et ma sortie hebdomadaire au hammam… Sinon, mon temps était consacré au travail et à ton éducation. Entièrement. Je ne regrette rien, pas une seule seconde. Mais quand l’attitude des médecins m’a fait prendre conscience que tu étais devenu adulte, malade certes, mais pas moins adulte pour autant, je suis tombé dans un trou noir qui m’a presque autant déprimé que tes résultats d’analyse.
(…)
- Alors, quand tu as appelé pour prendre des nouvelles de Simon, et quand je t’ai rencontré au café, j’ai tout de suite eu confiance en toi. Et pas seulement. Après notre première soirée – où j’ai dû t’ennuyer terriblement d’ailleurs -, j’ai su que j’avais retrouvé un sentiment oublié depuis trop longtemps.
Simon Weber de Jean Mattern - Éditions Sabine Wespieser - 155 pages
Commentaires
lundi 6 janvier 2014 à 11h21
C'est, comme toi, un roman que j'ai beaucoup aimé, qui est un complément très intéressant aux deux romans précédents de Jean Mattern, qui ont pour personnage Gabriel, le père de Simon (Les bains de Kiraly) puis les grands-paternels de Simon (De lait et de miel). Deux très beaux romans.
Je reviens sur la première phrase de ton billet, "histoire et nostalgique". C'est amusant, car l'histoire est loin d'être douce. Il s'agit tout de même d'un jeune homme qui attend fébrilement les résultats d'un examen médical, scène qui ouvre le roman. Ce qui rend la chose douce, c'est la manière qu'a Jean Mattern de conter cette histoire. J'avais eu la même sensation en lisant Les bains de Kiraly, où l'intrigue est assez dure et déroutante mais l'écriture très léchée, très soignée. L'auteur a l'art de rendre doux des choses difficile, mais n'esquive pas pour autant les difficultés. Bref, pour faire vite, j'ai l'impression qu'il a un style, et que peu importe l'intrigue, c'est le style qui prend le dessus.