Quand Joséphin pense à sa mère, il se souvient des photographies de Marlyn Moro que celle-ci avait affichées chez eux, et surtout des coups qu'elle lui infligeait au point que les marques laissées sur son corps semblaient être pour elle comme une carte pour se repérer dans ses souvenirs.

Ce roman se compare bien sûr à Moi, l'interdite dont la narratrice était une laissée-pour-compte. Alors que Moi, l'interdite était centré sur un enfermement, La vie de Joséphin le fou évoque davantage les grands espaces. En effet, Joséphin s'enfuit. Il est seul, mais la mer lui apporte une forme de libération. Ses blessures cicatrisent. Ne ressentant pas l'absence d'air, il ne fait plus qu'un avec la mer et son corps semble se métamorphoser pour devenir une créature marine.

Si certains thèmes traversant toute l'œuvre d'Ananda Devi sont présents (la boue...), j'ai aimé retrouver le thème plus inhabituel de la mer qui était déjà présent dans la partie Goémon du recueil de poèmes Le long désir paru peu avant ce roman. Plus que tout, je pense que ce que j'ai préféré dans ce livre est le travail de l'auteure sur la langue. Dans Joséphin, le narrateur est un garçon qui n'a plus parlé depuis longtemps. Il n'a ni les mots ni les tournures les plus complexes qui appartenaient au flux de pensées de Paule dans Rue la Poudrière. Sa syntaxe n'a pas la correction de la langue concise et poétique de Pagli. La vie de Joséphin le fou est en effet le seul roman d'Ananda Devi dont la langue soit résolument orale et où le niveau de langue corresponde au niveau de marginalité sociale du narrateur. Trébuchante, la langue de Joséphin n'en est pas pour autant complètement déstructurée. Cette parole étant très poétique, la lecture de ce roman est aussi aisée qu'agréable.

En explorant les recoins de la mer, Joséphin semble avoir trouvé une caverne où il peut s'isoler. Il y transporte deux jeunes filles qu'il a enlevées comme pour les soustraire à la société violente qu'il a fuie. Saura-t-il lui-même s'occuper d'elles en résistant à la brutalité que les autres voient en lui ?

Du même auteur : voir la bibliographie d'Ananda Devi.

Joël

Extrait :

C'était si mou et accueillant et dense et chaud que j'ai été heureux pour la première fois. Heureux, mais heureux, aucune peur, je comprenais pas encore l'idée de la noyade, mon visage plongeait dans la rondeur de la mer et elle se séparait pour me recevoir, me rejetait pas, me giflait pas, m'assomait pas, me fendait pas le crâne, première fois qu'on m'offrait des bras, les yeux ouverts sous l'eau pour bien voir, porté par l'eau salée, si salée qu'elle était comme une main élastique soupesant mon corps, j'ai vu les couleurs de ses dessous et j'ai ri.