Dans les papiers, il trouve un court manuscrit racontant comment un matelot a été payé trois couronnes pour avoir un rapport sexuel avec une femme masquée, issue d'une bonne famille et de la bonne société, sous la surveillance d'un médecin et du mari stérile.

De ce texte, part une enquête aux moults rebondissements. Ce manuscrit est-il morceau d'une fiction ou bien celui d'une confession de Thomas Colbert sur un épisode du temps de sa jeunesse comme matelot ? Ce matelot est-il réellement Colbert ou bien un autre individu ? Pourquoi ce texte alors que le milliardaire était si secret sur sa vie personnelle ? La veuve Colbert demande du bout des lèvres à Ph. Zafar d'élucider ce mystère. L'enjeu peut être crucial quand on connaît la richesse du défunt. Faudra-t-il ou non partager avec un ou plusieurs éventuels héritiers cachés ?

Toutes les pistes sont bonnes pour Zafar qui part tête baissée avec vraiment pas grand-chose comme indices. Une nouvelle de Karen Blixen, un traité de numismatique, un attentat politique sur l'île de Bourg-Tapage dans les mers du Sud, des filiations possibles en ex-Yougoslavie et peut-être jusque dans le Pacifique. Les pistes rayonnent loin depuis cette ex-colonie française qui se remet doucement de Troubles violents.
Ph. Zafar enquête bien aidé par le hasard : celui des rencontres avec des personnes pouvant le renseigner sur l'île, la période autour de 1949 ou une certaine famille aisée. Que dire de ce Tucker, secrétaire particulier du défunt et ensuite de la veuve ? Est-il là dans l'ombre pour aider les recherches de Zafar - il semble avoir le bras bien long - ou bien pour mieux les contrôler ?

Voilà donc une histoire avec un ensemble d'ingrédients intéressants. Mais mon esprit rationnel bute toujours sur une question : comment peut-il avancer quand il ne peut être absolument pas certain de l'authenticité des sources, des dires des uns et des autres. J'ai franchement l'impression que le curateur avance sur des sables mouvants et que bien des menaces pèsent sur ses travaux. Ou alors, qu'il se convainc un peu trop facilement et rapidement de la solidité de ses découvertes.

Ce Pour trois couronnes, c'est une écriture classique, peu de d'effets de suspens malgré les rebondissements dans les découvertes du narrateur. Quelques apartés sur sa propre vie, sa famille libanaise, sa méconnaissance de son père, des activités cachées de ce dernier, comme échos à ses recherches de filiation. Et si je n'ai pas compris l'usage fait des parenthèses pour signaler ces apartés, ce n'est qu'un détail qui ne gâche pas la lecture.

En fait, j'ai trouvé ce héros narrateur un peu palot, pas assez dynamique à mon goût. Contrairement à ma lecture du premier roman de F. Garde, Ce qu'il advint du sauvage blanc, je suis restée à côté de l'enquête autour de ces mystérieuses trois couronnes. Cette intrigue aurait pu être plus pétillante même si le postulat de départ est intéressant. Ensuite, j'avoue avoir été déroutée aussi du mélange des réflexions de l'auteur sur le rôle des casques bleus, sur les idées politiques très insulaires, revendications nationales, les violences que certains discours peuvent engendrer ou bien encore les sacrifices que peut consentir un couple en désir d'enfant et ce, bien avant l'invention des naissances in vitro.

En résumé, pour trois couronnes, vous aurez droit à une intrigue, des pistes de réflexion, des voyages et des rencontres. Pour moi, une seconde lecture s'impose à une période à tête plus reposée. Tout en sachant que je ne retrouverai pas le brio du premier roman, Ce qu'il advint du sauvage blanc. Mais en tout cas, un auteur à suivre de très près.

Dédale

Du même auteur : Ce qu'il advint du sauvage blanc

Extrait :

Par quelle alchimie entrais-je en résonance avec cette histoire ? Thomas Colbert avait sans doute joué une partie importante sur cette escale. Et moi, quand aurais-je à mon tour le droit de faire rouler les dés sur la table du destin ?
Qu'est-ce qu'un jeune Libanais de Californie et ce milliardaire français pouvaient avoir à se dire ? ou à taire à sa veuve ?
J'affrontais deux énigmes et non une : je devais, attentif à l'une comme à l'autre, apprendre à les distinguer. Je ne savais pas encore les résoudre, mais peu à peu je les apprivoisais. Le premier mystère : pourquoi, quand et pour qui ce chef d'entreprise avait choisi d'écrire cette apparente confession - scabreuse, tardive, inutile. Le second, comprendre pourquoi Hélène Colbert enquêtait à travers moi sur son défunt mari.

La suite de mon enquête m'amena à Paris, où je passai trois jours à errer de fausses pistes en portes closes, avant d'enfin découvrir l'existence de l'Inscription maritime.
On ne dira jamais assez la grandeur de l'administration française. Depuis plus de trois siècles, elle recense tous les marins dans leurs embarquements successifs. La guerre peut toujours survenir, et il importe de savoir où naviguent tous ces hommes pour les incorporer au plus vite. Les états de service, au commerce ou à la pêche, sont recensés sur des fiches cartonnées, du premier contrat de mousse jusqu'à leurs soixante ans.
J'expliquais ma recherche : on me demanda de produire le certificat de décès et l'autorisation de la veuve. Tucker, que j'appelai au secours, me fournit dans la journée les sésames requis. Je remarquai moins son efficacité que la hâte qu'il mettait à aplanir mon chemin.
Le préposé entra dans sa machine le nom de Thomas Colbert : une seule réponse à l'écran.
Deux heures plus tard, il m'apporta le dossier et me laissa seul dans la salle de lecture décorée de grandes toiles de combats navals, éclairée par de lampes rouges aux nuances de naufrage.

Thomas Colbert.
Né le 3 août 1927 à Poitiers. Fils de (père inconnu) et de Colbert (Jeanne).
Taille : 169 cm ; poids 65 kg ; cheveux bruns ; yeux noirs ; bouche petite ; front haut ; menton ovale ; pas de signe particulier.


Cette fiche signalétique - dépourvue de photographie - aurait pu désigner n'importe qui.

Pour trois couronnes
Pour trois couronnes de François Garde - Éditions Gallimard - 295 pages