Poète et homme de lettres, il n’a eu le temps d’écrire qu’un roman inspiré de sa propre vie de fonctionnaire dans une préfecture (Les dimanches de Jean Dézert, roman paru en 1914) et un recueil de poèmes publié à titre posthume, L’horizon chimérique (publié notamment en 2008 dans Les Cahiers rouges chez Grasset).
Pour parler du poète, Jérôme Garcin invente Louis Gémon, un tout jeune soldat incorporé en même temps que Jean. Ensembles ils vivront les premiers temps de la longue guerre. Seulement, jean tombe vite sous la pluie d’obus allemands qui s’abat sans discontinuer sur le Chemin des Dames. Dans la boue et la fureur des bombes, c’est plus qu’un homme qui est fauché. C’est un talent plus que prometteur qui est ainsi soufflé à jamais.
Jean était un garçon très différent des autres, à la fois ténébreux et ardent. […] Il me touchait, ce jeune homme idéaliste et myope si attiré par le feu, et dont la chevalière en or, sur laquelle étaient gravées les armes des La Ville de Mirmont, brillait comme une oriflamme.
A son tour blessé, Louis est à l’arrière. S’en suivra des opérations et une très longue convalescence sur les bords de la Manche. Pour ne pas perdre l’esprit face à la douleur et à la culpabilité de lui avoir survécu, Louis se raccroche à ses courts moments passés au côté de son ami. Être sur le front, godillots à godillots, ça crée des liens renforcés par leur commun amour pour la littérature.
Nous nous sommes promis, si l’un de nous deux venait à être tué, de nous rester fidèles.
Fidèle, Louis le sera, au risque de se perdre.
Peu à peu et pour que le souvenir de jean perdure, Louis va partir à la recherche de toutes les personnes qui l’ont connu ou pas. A commencer par sa mère inconsolable, son ami d’enfance François Mauriac et quelques autres encore comme le compositeur Gabriel Fauré passionné de poésie et qui a réussi sur le tard de sa vie à mettre musique des vers de Jean (en l’occurrence, superbe musique).
Le grand projet de louis est de faire publier les écrits de Jean. En ces temps d’après-guerre, difficile de motiver un éditeur, de rassembler les textes, les lettres… Peu à peu, Louis en arrive à s’oublier totalement, ne vivre que pour et par Jean. N’en perd-t-il pas un peu de sa personnalité propre ?
Usant d’une écriture d’une grande sobriété, ponctuée de-ci de-là d’écrits et de vers de Jean de La Ville de Mirmont, Jérôme Garcin réussit à nous conter cette vie d’avant-guerre, le destin d’un jeune homme plein de promesses et fasciné par la mer, les bateaux en partance, ne rêvant que de voyages au long cours. On ne peut que se demander ce que Jean aurait pu encore écrire s’il avait vécu plus longtemps.
Je ne saurai trop vous conseiller cette lecture et surtout cette rencontre avec ce jeune poète qui disait : J’espère que je sortirai vivant de ce bourbier. C’est en mer et nulle part ailleurs que je voudrais disparaître.
Après le peu de vers de Jean que j'ai pu lire depuis, je ne peux m’empêcher de penser : ce que la vie peut être rosse avec les artistes parfois !
Dédale
Du même auteur : Olivier
Extrait :
Jean avait dû lire les nouvelles de Maupassant, lequel ambitionnait de rassembler les Grandes Misères des Petites Gens, à l’aune de sa propre expérience. Peut-être même avait-il pris exemple sur lui. Pas pour aller faire de la yole le dimanche et s’offrir des putains sous les peupliers, mais pour se résigner à ne devenir écrivain qu’à la nuit tombée. « Penser à Maupassant », ça voulait dire : je ne me fais pas remarquer au bureau, je courbe l’échine, je me confonds avec ma modeste fonction, jusqu’au soir où, une plume à la main, je suis le maître de Jean Dézert, je suis un matelot de la Belle-Julie, j’aborde aux îles de la Sonde, je règne sur mon royaume sans frontières de poèmes et de rêves.
Qui sait si Jean n’avait pas écrit ces quatre vers de L’horizon chimérique en rentrant, harassé, de son bureau de la Préfecture où avaient défilé les malheurs et les colères de la grande ville :
Mon âme, loin des foules grises,
Dont le tumulte est odieux,
Se recueille, avant tout éprise
De la solitude des dieux.
Bleus horizons de Jérome Garcin - Éditions Gallimard - 213 pages
Commentaires
mardi 16 juillet 2013 à 10h56
Ah oui, à lire ! La belle écriture de Garcin rend cette histoire très prenante.
Et au total, la vie de Louis laisse presque autant d'amertume que la mort de Jean au front.
Plus populaire que Fauré, Julien Clerc chante un beau texte d'Horizon chimérique.
Et puis ma citation à moi, des vers datant des jours précédant le départ de Jean vers les lignes de combat :
"Cette fois mon cœur, c’est le grand voyage,
Nous ne savons pas quand nous reviendrons.
Serons-nous plus fiers, plus fous ou plus sages ?
Qu’importe, mon cœur, puisque nous partons !"
mardi 16 juillet 2013 à 12h03
Sylvie, j'avais aussi noté ces vers que tu cites. Enfin, si je m'étais écoutée, j'aurai remis tous l'Horizon chimérique.
Enfin, pour ma première lecture de Jérôme Garcin, cela a été une très bonne pioche.
jeudi 18 juillet 2013 à 14h07
@ Dédale. Première lecture de Jérôme Garcin ? Je te conseille "Olivier", Jérôme Garcin par lui même. Assez différent de l'animateur de la célèbre émission "La masque et la plume".
jeudi 18 juillet 2013 à 21h19
D'accord, Gatsby. Je note pour après la lecture des 311 titres qui sont encore en attente chez moi et puis tous ceux qui attendent notés dans mon carnet es spécial. Je suis surtout très tentée par son Bartabas, roman.
Pff, vivement la retraite ! :-))
J'en profiterai aussi pour enfin écouter cette célèbre émission radio. J'en ai beaucoup entendu parler mais jamais écoutée en vrai.
jeudi 18 juillet 2013 à 21h29
Pour ma part j'ai lu son Bartabas, roman et on voit qu'on a affaire à un auteur qui aime les chevaux, comme dans Perspectives cavalières - un excellent titre - ou la chute de cheval.
J'ai lu aussi Olivier, comme Gatsby, et c'est vrai que c'est dans un registre très différent - beaucoup plus personnel.
Mais je n'ai pas encore lu ce Bleus horizons qui doit appartenir à un troisième registre, et Dédale nous a bien donné envie de le lire ...
jeudi 18 juillet 2013 à 22h04
@ Dédale. Tu oublies que tu dois relire sans délai "Les aventures de Tom Sawyer" et "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" (LOL comme on ne le dit plus).
jeudi 18 juillet 2013 à 22h14
D'accord, d'accord, je lirai tout Jérôme Garcin
Et entre deux, je lirai Tom Sawyer et relirai Ne tirez pas sur l'oiseau moquer (que j'avais beaucoup aimé).
Alice-Ange, Gatbsy, pour tout cela, vous livrez combien de vies en plus ?? :-))
vendredi 19 juillet 2013 à 02h02
Dans le premier registre, "La chute de cheval", plus qu"Olivier" dont l'impudeur m'a parfois choquée.
Dans le deuxième, "Cavalier seul". Même si l'on n'est pas homme (femme ?) d'équitation, un régal.
A cheval sur le deuxième et le troisième, "L'Ecuyer mirobolant".
Il n'y a guère que dans "Bleus Horizons", que Garcin ne parle pas de la plus noble conquête de l'homme...
"Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur" : magnifique souvenir ! Si un jour j'ai une vie en plus, je le relirai.
lundi 22 juillet 2013 à 17h42
"Bleus horizons" est toujours sur ma liste de "livres à lire". Comme Gatsby, j'avais beaucoup aimé "Olivier".
dimanche 18 août 2013 à 12h43
Sylvie, effectivement, une merveille ce Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur.
Marimile, tu m'en dira des nouvelles, n'est-ce pas, de ce Bleus horizons.
Ah oui, pour votre information, si vous souhaitez lire les écrits de Jean de La Ville de Mirmont, et pour ne pas faire la même erreur que moi. J'ai acheté les deux ouvrages. (En apparté, le libraire n'y a vu, lui aussi, que du feu
)
Edités chez la Table ronde, vous trouverez : Les dimanches de Jean Dézert, le roman, suivi par l'ensemble de poème sous le titre L'horizon chimérique, puis d'autres poèmes et pour finir les Contes.
Edités chez Grasset, dans la collection Les Cahiers rouges, vous trouverez : L'horizon chimérique, suivi du roman et des Contes.
A vous de choisir l'éditeur, le contenu étant quasiment le même.
Maintenant, il ne me reste plus qu'à lire ces créations et à trouver la musique de G. Fauré.
mardi 20 août 2013 à 17h55
A la lecture du nom "Gabriel Fauré", un de mes musiciens préférés et un presque voisin si l'on accepte une collision espace-temps, mon oreille se dresse : j'ai pas lu le bouquin, c'est quoi la musique Dédale ?
dimanche 25 août 2013 à 20h05
Je viens de terminer la lecture de Bleus horizons à qui je trouve beaucoup de charme - le charme suranné de ces années du début du siècle précédent, tellement bien restituées par Jérôme Garcin, qui nous transmet fidèlement son sentiment nostalgique.
Il fait revivre ce Jean de la Ville de Mirmont ( deux particules !) que tout le monde a oublié - sauf Dédale qui en a retrouve trace en librairie.
Quant à Gabriel Fauré, il met en musique les vers de L'horizon chimérique pour un livret d'opéra. Portrait toute en douceur, qui m'a fait penser à un autre ouvrage du même Jérôme Garcin, et que j'avais oublié : Les mots ont un visage: un étonnant cortège d'écrivains, parfois oubliés, mais dont J. Garcin brosse des portraits vraiment très bien campés.
A découvrir après Bleus horizons.
dimanche 25 août 2013 à 20h56
Gatsby, je réécris ma réponse à ta question (qui s'est envolée je ne sais où).
En fait, G. Fauré a réussi à mettre en musique les vers de L'horizon chimérique (déjà rien que ce titre, quelle invitation au voyage !!). J'ai trouvé sur le Net quelques morceaux. C'est très chanson française d'antan avec un phrasé si particulier. Pourtant, ce que j'en avais découvert était un morceau uniquement musical. Une musique qui me fait penser à C. Debussy ou Ravel dans certaines de leurs pièces courtes. Même époque cela dit.
Selon J. Garcin (interview dans Passion Classique avec O. Bellamy de février dernier), G. Fauré aurait composé en 1921 cette adaptation des poèmes de de la Ville de Mirmont comme une sorte de mea culpa, pour avoir passé tout le temps de la Grande guerre à l'abri dans le sud. Une hypothèse comme une autre. En tout cas, le compositeur était aussi très féru de poésie.
Pour l'heure, je n'ai encore rien trouvé dans les boutiques de musique visitées.
Alice-Ange, oui, une époque particulière que ces temps d'avant et après guerre 14-18. Je note ce nouveau titre de J. Garcin (la liste s'allonge incroyablement)
mardi 27 août 2013 à 09h36
Merci Dédale, je vais tenter une recherche vers Pamiers, bien que le musée qui est consacré à Fauré soit à Aix-les-Bains.
mardi 27 août 2013 à 21h04
D'accord, Gatsby. Nous continuons cette quête extra-littéraire
vendredi 15 novembre 2013 à 17h13
Mon avis sur ce roman sur La Feuille Volante n° 687 - http://hervegautier.e-monsite.com
vendredi 25 avril 2014 à 21h20
A noter que ce livre vient d'obtenir Le Prix des Romancières 2014, et qu'il avait eu précédemment le PRIX FRANÇOIS-MAURIAC 2013 et le PRIX JEAN-CARRIÈRE 2013. Des récompenses très méritées
samedi 26 avril 2014 à 22h23
Très bien ces récompenses pour ce roman qui en vaut vraiment la peine. Merci, Alice-Ange pour ces informations.