D'abord, il leur faudra convaincre Maître Fust, libraire et imprimeur de Mayence de venir s'installer à Paris pour mieux combattre la censure et faciliter la circulation des idées progressistes à la barbe de Rome. Louis XI se demande encore comme Fust arrive toujours à proposer des ouvrages les plus rares et les plus controversés – tous plus ou moins mis à l'index par Rome. A quel jeu le jeune roi joue-t-il ? Quels sont ses desseins ? Pourquoi faire appel à un homme brillant par sa verve, sa maîtrise des mots et des idées, connu pour son esprit rebelle et son insubordination notoire ?

Contre toute attente le roi de France s'est pris d'amitié pour un pondeur de rimes à qui il a pardonné plus d'une fois ses incartades.
Son chant unit les Français, poitevins ou picards, en un seul hymne, une seule langue, par-delà dialectes et chapelles. A la différence des Médicis, Louis XI n'est pas imbu de grec et de latin mais bien du parler de son pays que manie si bien maître François. Le roi n'est pas grand amateur de poésie. Il voit tout simplement en Villon le chantre d'une nation naissante.

Puis, le poète voit son aventure l'amener jusqu’en Terre sainte, jusqu'aux entrailles secrètes de la Jérusalem d'en bas. Complots, espionnages, coups fourrés et prisons des Mamelouks, rien n'est épargné aux deux français. De plus, tous les moyens sont bons pour la France, la Florence des Médicis et cette mystérieuse Confrérie des chasseurs de livres pour lutter contre la censure, l'Inquisition et se libérer du pouvoir écrasant de la papauté.

Je ne vous en dis pas plus sur cette histoire menée au grand galop, pleine de rebondissements et de chausses-trappes et où tout le monde joue double voire triple jeu. Une histoire au rythme enlevé, soulevant bien des questions sur le pouvoir en général, sur celui des arts et surtout des lettres en particulier. Est-ce que la circulation des idées, des belles lettres ne serait pas la meilleure arme pour lutter contre des États, des religions trop pesants ? Et qui sont donc ces hommes et femmes membres de cette secrète confrérie ? Quel est leur but ? Qui peut être leur chef ?

Et si pour ma part, mon attention s'est un peu détachée vers la fin, au moment où F. Villon se trouve à méditer et travailler dans une grotte dans le désert de cette si convoitée Terre sainte – passage un peu trop mystique à mon goût -, il n'en reste pas moins que ce roman est divertissant. Il a de plus aussi le mérite de titiller notre curiosité et de vouloir ensuite en savoir beaucoup plus sur le Sieur Villon. C'est déjà pas mal.

Bon moment de lecture.

Dédale

Extrait :

La façon dont Johann Fust gère ses affaires intrigue la cour au plus haut point. Cet imprimeur allemand a couvert plusieurs ateliers dans de petits bourgs isolés, en Bavière, en Flandres et dans le nord de l'Italie. Il semble ne tirer aucun avantage mercantile de ses succursales. Sur la carte cependant, leur répartition évoque un déploiement militaire. Quel en est l'objectif ? D’après les renseignements obtenus, Fust perd chaque jour de l'argent. A Mayence, il publie bibles et ouvrages pieux sur commande, mais ailleurs ses presses artisanales impriment des volumes d'un tout autre genre : antiques écrits grecs ou romains, récent traités de médecine et d'astronomie que lui seul paraît capable de se procurer, sans qu'on puisse en découvrir la provenance. Qui l'approvisionne ? Dans la copie de La République que Villon vient de tenir entre les mains, Platon expose comment la cité doit être gouvernée. Ce texte confirme Louis XI dans son dessein politique. Il fortifie également le statut de l’Église en France, désireuse de s'affranchir du joug apostolique. D'où l'opposition de Rome. Pourquoi Fust s'obstine-t-il à publier ce genre d'ouvrages, au risque de subir les foudres de l'Inquisition ?
François se penche vers le volume d'un air perplexe, estimant qu'il est suffisamment lourd pour assommer l’évêque. Il pointe le doigt avec ostentation vers les murs moites de sa cellule puis désigne le festin d'un geste arrondi de la main.
- Y aurait-il à ce point carence de mouchards ?
- Il n'est point question de dénoncer cet imprimeur, maître Villon, mais de s'acoquiner avec lui.

La confrérie des chasseurs de livres
La confrérie des chasseurs de livres de Raphaël Jerusalmy - Éditions Actes Sud - 316 pages