Parallèlement à la vie d'Ivan, devenu vétérinaire pour animaux de ferme afin d'oublier son échec littéraire, le roman donne à lire deux histoires. La première, par ordre d'apparition dans le roman, est celle de Lev Davidovitch, plus connu sous le nom de Trotsky. On découvre la vie du leader communiste au moment de son exil d'URSS, imposé par Staline. Le dictateur communiste voit en Trotsky un adversaire redoutable et décide d'en faire une figure à abattre pour toute l'URSS. Après son départ d'URSS, on le suit dans son exil, en Turquie, en Norvège ou au Mexique. C'est là que le révolutionnaire, ancien proche de Lénine, qui a lui même utilisé la violence lors de la mise en place du régime communiste, comprend peu à peu comment le régime soviétique utilise son nom et son image pour nettoyer les rangs des dirigeants. Car c'est en effet au nom de leur engagement trotskiste présumé que beaucoup de leaders communistes sont condamnés à mort, lors de grands procès, entre 1936 et 1939, procès qui déciment les dirigeants historiques du parti communiste et l'armée rouge.

L'autre histoire qu'on découvre est celle de Ramon Mercader. Ramon est un jeune communiste espagnol, engagé dans la guerre civile espagnole aux côtés des républicains. Rapidement, on demande à Ramon de tout abandonner pour se livrer corps et âme à la mission que lui assigne le parti : assassiner le renégat Léon Trotsky. Ramon suit ainsi toute une série de tests et de séances de torture, pour l'entraîner à devenir quelqu'un d'autre. Il devient ainsi Jacques Mornard, citoyen belge, puis un entrepreneur américain. A travers le personnage de Ramon Mercader, on plonge dans la folie du régime communiste, entièrement dans la main de Staline. Ses adeptes sont prêts à tout pour remplir la mission qui leur est confiée.

Leonardo Padura, avec ses trois entrées très différentes mais finalement complémentaires, signe un très grand roman. C'est une biographie très documentée sur la vie de Trotsky, sa lutte acharnée contre les usurpateurs de la mémoire de Lénine et de la cause révolutionnaire. C'est aussi une plongée fascinante et terrifiante dans l'URSS des années 30, dans les méthodes staliniennes pour obtenir le maximum de chacun de ses membres, souvent aveuglés par la puissance de Staline. Le plus perturbant reste qu'il arrive à évincer peu à peu tous les protagonistes révolutionnaires tout en gardant intacte son image. Enfin, avec le personnage d'Ivan, le roman permet de découvrir la vie à Cuba, avec la censure artistique des années 60 et 70, puis la situation sociale misérable du pays après la chute de l'URSS et l'arrêt de l'aide du grand frère communiste. Le roman est une somme et se lit avec un immense plaisir. Les époques et les personnages se succèdent, Padura arrive à mêler habilement éléments historiques très documentés (sur Trotsky ou l'URSS stalinienne) et fiction, avec Ivan et surtout avec Ramon Mercader, dont on ne connaît que quelques éléments biographiques. Je vous invite vraiment à plonger dans cet ouvrage remarquable, qu'il est difficile de lâcher !

Yohan

Du même auteur : L'automne à Cuba, Hérétiques.

Extrait :

À partir de la dernière semaine de novembre et jusqu'à la fin décembre 1977, je rencontrai six fois l'homme qui aimait les chiens, toujours à l'occasion de rendez-vous fixés à l'avance. L'hiver, indécis, se dilua jusqu'à la fin de l'année dans deux ou trois fronts froids qui faiblirent en traversant le golfe du Mexique et n'apportèrent sur l'île que de légères pluies, incapables d'affecter les thermomètres, et des vagues troubles qui vinrent altérer la placidité de la mer devant laquelle se déroulaient nos conversations. Subjugué par les paroles de l'homme, je courais de mon travail à la plage et c'est à peine si je pensais à autre chose qui ne fût pas notre prochaine rencontre. Écouter et tenter de digérer cette histoire dont presque toutes les péripéties étaient des révélations sur une réalité enfouie, sur une vérité que je n'avais pas plus imaginée que les personnes de mon entourage, était devenu une obsession. J'étais profondément troublé par ce que me découvrait peu à peu son récit, ajouté à ce que je m'étais mis à lire, tandis que la flamme d'une peur viscérale me dévorait, sans pour autant parvenir à consumer mon désir de savoir.

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L'homme qui aimait les chiens de Leonardo Padura - Éditions Métailié - 742 pages
Traduit de l'espagnol (Cuba) par René Solis et Elena Zayas