Beaucoup des chapitres de ce livre sont des analyses d'opéras de Rossini. Stendhal indique la succession des mouvements les plus marquants : ouverture, airs, duos, récitatifs, etc. Il revient sur les circonstances dans lesquelles il a connu cet opéra, s'il a assisté ou non à la première (et quand il le dit, il ment parfois...), quels étaient les chanteurs de la création, etc. Si l'opéra s'est joué à Paris, il expliquera souvent à quel point tel ou tel passage aura été massacré à Louvois : son lecteur de 1824 pourra alors considérer que l'œuvre qu'il aura entendue n'est pas vraiment de Rossini.
Ce livre est aussi une biographie de Rossini. Les nombreuses anecdotes rapportées par Stendhal en font un personnage sympathique et plein d'esprit. Bien qu'il fût en Italie un compositeur très demandé, l'auteur explique la vie de quasi-vagabond qu'il mène, allant d'une ville à une autre, où il n'aura que quelques semaines pour composer un nouvel opéra. À de nombreuses reprises, Stendhal déplore que Rossini ait dû brider son inspiration pour composer des airs à la portée de la technique défaillante de la chanteuse Isabella Colbran qui devint son épouse.
Le texte de Stendhal comporte des réflexions sur divers sujets liés de
près ou de loin à la musique. Certaines sont intéressantes, comme lorsqu'il
évoque les ornementations dans le chant, d'autres sont assez peu réfléchies
et mettent en lumière certains de ses préjugés... Ses goûts musicaux sont
exprimés sans détour. Il oppose la beauté du chant (italien) au caractère
bruyant des symphonistes
(allemands). C'est là un de ses paradoxes,
et il y a de quoi douter de sa sincérité, car s'il aime autant Rossini
qu'il l'affirme parfois, pourquoi ne perd-il aucune occasion de dire que
Rossini compose en quelque sorte à la manière de Cimarosa, mais le génie
en moins
? Il aime la mélodie, le beau chant, mais il dit de la musique
de beaucoup de morceaux de Rossini qu'elle est bruyante, tout comme celle
de Mozart ou de Weber. Qu'aurait-il donc pensé de Wagner, ou de
Boulez ?
Contrairement au Voyage artistique à Bayreuth consacré à Wagner par Albert Lavignac, la Vie de Rossini de Stendhal peut paraître assez datée aujourd'hui : il s'agit davantage d'un témoignage d'une époque que d'un texte pouvant faire référence pour qui s'intéresserait à Rossini. Plutôt que Pasta ou Velluti, les grands chanteurs rossiniens d'aujourd'hui s'appellent Siragusa ou DiDonato...
Extrait :
Ce soir, en revenant du Devin du Village, j'ai ouvert machinalement un volume de l'emphatique Rousseau. C'étaient ses écrits sur la musique. J'ai été frappé ; tout ce qu'il dit en 1765 est encore brillant de jeunesse et de vérité en 1823. L'orchestre français, qui se croit toujours le premier orchestre du monde, ne peut pas plus exécuter un crescendo de Rossini aujourd'hui qu'alors. Fidèle aux oreilles doublées de parchemin de nos braves aïeux, il meurt toujours de peur de commencer trop doucement, et méprise les nuances comme des preuves de manque de vigueur. Le physique du talent a changé : nul doute que nos violonistes, nos violoncelles, nos contrebasses n'exécutent aujourd'hui des choses impossibles en 1765 ; mais la partie morale du talent, si je puis m'exprimer ainsi, est toujours la même. C'est comme un homme sans fortune qui fait un héritage immense d'un parent mort dans les Indes ; ses moyens d'action et d'influence ont changé, mais son caractères est resté le même ; bien plus, enhardi par son opulence nouvelle, ce caractère n'éclatera que d'une manière plus effrontée. Nos symphonistes ont hérité, eux, du talent de la main. Rossini va passer à Paris pour aller à Londres ; vous les verrez lui disputer le temps des morceaux qu'il a créés, et prétendre le savoir mieux que lui. Pris individuellement, ce sont des artistes, et peut-être les plus habiles de l'Europe ; réunissez-les en corps, c'est toujours l'orchestre de 1765. La science musicale nous inonde de toutes parts, et le sentiment est à sec. Je suis poursuivi de jeunes prodiges de dix ans et demi qui exécutent des concertos, les grands violonistes réunis en orchestre ne peuvent pas exécuter l'accompagnement du duetto d'Armide.
Vie de Rossini de Stendhal - folio classique - 575 pages.
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