Dès le premier jour, au musée où son fils doit faire une démarche pour sa femme Andrea, le vieux découvre l'Art, cette chose inutile. Pourtant il va rester sidéré par le sourire énigmatique d'une sculpture étrusque. Deux gisants en argile rouge lovés ensembles avec un si doux sourire aux lèves. Un même sourire indescriptible : sage et énigmatique, serein et voluptueux.

Dans cette grande ville qu'il déteste – où l'on ne sait même pas ce que sont de vraies poires goûteuses, juteuses, mures à souhait. Le frigidaire les tue. - il va surtout découvrir son petit-fils, Bruno, qui porte le nom que ses camarades partisans lui avaient donné au temps du maquis. Le petit Brunettino va être une révélation pour son grand-père. Tous deux vont s'apprivoiser peu à peu. Et Salvatore va commencer à voir la vie autrement. Il va apprendre les gestes pour habiller, nourrir, promener son petit-fils, tâches habituellement du domaine des femmes.

Se seront aussi les retrouvailles entre le fils et le père. Le fils détaille le profil de son père. Toujours aquilin, mais la pomme d'Adam déjà s'affile, comme un galet avalé de travers, et les yeux s'enfoncent. Combien de temps encore pourra-t-il contempler ce visage invulnérable qui lui a toujours inspiré confiance ?

Puis le beau-père considérera sa belle-fille, Andrea, femme dynamique et beaucoup trop moderne pour lui, avec un autre regard. Elle s'avérera moins snob que cela finalement, qu'elle peut même être affectueuse et pas uniquement à l'égard de son petit Bruno.

Il se fera moins hostile à la ville, à ses habitants. Il fera notamment la rencontre d'une baby-sitter enjouée, rafraîchissante. Il y aura surtout Hortensia qui deviendra son initiatrice des beautés et atouts de la ville, de la douceur d'une fin de vie. Mais tous deux seront-ils plus rapides que la Ruska ?

Très vite on s'attache au vieux, au décalage de ces vies racontées avec juste ce qu'il faut d'humour de la part de l'auteur et aussi une bonne dose de mauvaise foi de la part de Salvatore.

José Luis Sampedro raconte avec tendresse et enjouement ces contrastes entre la campagne et la ville, le Sud et le Nord. La vie tout confort de la ville et celle dangereuse, virile du temps du maquis. Un temps qui revient de plus en plus souvent dans la tête de Salvatore. C'est que la Ruska s'agite beaucoup.
Non, vraiment, le vieux comprend petit à petit qu'il n'a jamais vécu tout ce qu'il est en train de vivre depuis qu'il est chez son fils. Qu'il n'y connaissait rien des femmes, même pas son beau premier amour, la maquisarde Dunka et encore moins des enfants.

Joli conte moderne, une de ces histoires qu'il fait bon lire, même si j'ai trouvé la fin un peu trop mélodramatique. Je reste sur cette douceur possible dans ces vies urbaines frénétiques. Preuve s'il en est que l'on peut apprendre à tout âge, que les moments de bonheur et de plénitude arrivent quand on ne les attend pas.

Dédale

Extrait :

L'esprit du vieux reste en suspens, il réfléchit ; il vient de dire une vérité à laquelle il n'avait jamais pensé auparavant. Quand une mort survenait, la maison semblait leur dire à travers son silence: « Ne vous en faites pas, moi je reste là debout, comme toujours, pour que vous, vous continuiez à vivre. » Voilà ce qu'elle disait, oui, et en plus, en plus…
Tu sais, mon petit ange, je m'aperçois maintenant que nos maisons, elles ne radotent pas comme je te le disais ; en fait, elles nous parlent des autres pour qu'on sache vivre ensemble et devenir tous camarades, comme des partisans dans cette guerre qu'est la vie, parce qu'un homme tout seul, c'est rien… Voilà ce qu'elles nous enseignent et c'est pour ça que dans ces maisons mortes de Milan on n'apprend pas à vivre ensemble… Ces gratte-ciel qu'elle aime tant l'Andrea, remplis de gens qui ne se connaissent pas, qui ne se parlent pas, comme s'ils étaient fâchés. Et s'il y a le feu, alors ? Et ben, sauve qui peut… C'est comme ça qu'ils sont tous : moitié hommes, moitié femmes !
[…]
Maintenant je comprends, petit, pourquoi je viens ici chaque nuit ! Pour nous faire une maison à nous à l'intérieur de celle-ci, pour qu'on vive ensemble, toi et moi, compagnons de maquis… Si ces gens-là ne savent pas vivre, toi au moins, tu sauras, parce que moi je sais… C'est pour ça, mais ça ne m'était jamais venu à l'idée ; seulement maintenant, près de toi justement… C'est qu'auprès de toi, j'apprends, camarade, incroyable ! Oui, j'apprends de toi. Je ne sais pas comment, mais tu m'instruis… Ah, mon Brunettino, mon miracle ! »

Le sourire étrusque
Le sourire étrusque de José Luis Sampedro - Éditions Métailié - 350 pages
Traduit de l'espagnol par Françoise Duscha-Calandre