Dans la première partie du livre, le garçon révolté va se livrer à sa propre enquête pour découvrir l’identité du monstre qui a brisé la vie de sa mère, désormais prostrée à la maison. Avec son meilleur ami Cappy, mais aussi Zark et Angus, ils forment une bande de quatre copains qui feront tout pour connaître la vérité.
En chemin, ils découvriront l’alcool et l’ivresse, le premier émoi amoureux et surtout le sentiment de colère.

Peut-on parler de justice ? Ou de vengeance ?
Louise Erdrich connaît parfaitement la question indienne. Elle fait du père du Joe un juge démuni face aux contradictions d’un maillage de lois inextricable. Le viol a-t-il été commis en terre indienne ? à l’intérieur ou à l’extérieur de la réserve ? Cela change tout, selon les règles imposées, mais la mère de Joe ne peut pas répondre.

L’auteure mène son histoire sur fond de thriller. Tout y est : la tante Sonja qui est une ex-streap-teaseuse, une mystérieuse poupée qui recèle un bien curieux trésor, un truculent curé – rien que pour découvrir ce personnage, je vous recommande la lecture de cet ouvrage - qui a des méthodes expéditives avec Cappy pour l’obliger à se confesser… Elle se coule dans la peau d’un adolescent avec beaucoup de talent : elle n’a pas son pareil pour décrire les fringales qui happent Joe et ses copains. Ses personnages secondaires sont captivants.
Mais surtout, elle entremêle de vieilles légendes indiennes et la réalité d’une enquête pour viol. Le vieux Mooshum, le vénérable de la famille, les raconte très distinctement dans son sommeil, la nuit, tandis que Joe est couché à côté de lui.

L’action de ce livre se déroule en 1988, mais l’enchevêtrement de lois qui dans les affaires de viol fait obstacle aux poursuite judiciaires sur de nombreuses réserves existe toujours, explique Louise Erdrich dans sa Postface. Le Labyrinthe de l’injustice, un rapport publié en 2009 par Amnesty International, présentait les statistiques suivantes : une femme amérindienne sur trois sera violée au cours de sa vie (…) 86 pour cent des viols et des violences sexuelles dont sont victimes les femmes amérindiennes sont commis par des hommes non-amérindiens ; peu d’entre eux sont poursuivis en justice.

C’est donc un récit superbement mené, basé sur des faits réels mais relaté sous forme de fiction, qui fait penser au meilleur de Jim Harrison ou à Tony Hillerman pour la connaissance des cultures indiennes. Avec un dénouement à la hauteur de la soif de justice qu’éprouve Joe et que Louise Erdrich réussit très bien à nous communiquer.

Alice-Ange

Extrait :

Les chaussures, c’était bien trouvé. Le lendemain, après le travail, elle m’a emmené les acheter, ce que j’ai regretté à cause de l’argent gaspillé. Mais je suis entré dans le magasin de bricolage et articles de sport sur un simple prétexte, et elle a attendu dehors pendant que j’achetais quarante dollars de munition pour la carabine de Doe. Le vendeur ne me connaissait pas et a examiné de près le gros billet. Moi, j’ai jeté un coup d’œil aux pots de peinture, aux ballons de baskets et aux balles de base-ball, au coin golf, aux casiers de clous et aux rouleaux de fil de fer, au rayon conserves maison, aux pelles, aux râteaux, aux tronçonneuses, et j’ai remarqué des bidons à essence à vendre. Exactement comme celui que j’avais trouvé dans le lac.
Je crois que c’est bon, a dit le vendeur, en me rendant la monnaie.
Quand je suis ressorti, j’ai raconté à ma mère que j’avais acheté une surprise pour papa, qui était censé se la couler douce. En plus des cartouches, j’avais pris des mouches pour perches, le poisson que nous aimions le mieux pêcher. J’alignais les mensonges et tout ça me venait naturellement, comme autrefois l’honnêteté. Dans la voiture, sur le chemin du retour, j’ai compris que mes tricheries ne tiraient pas à conséquence puisque je poursuivais un but auquel dans ma tête je ne donnais pas le nom de vengeance, mais de justice.
Les Péchés qui Réclament Justice Devant Dieu.

Dans le silence du vent
Dans le silence du vent de Louise Erdrich - Éditions Albin Michel - 462 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez