Dans ce roman (très inspiré pour certaines parties de la vie de l'auteur), on suit la vie cafardeuse et parfois désespérante d'un critique littéraire. Les parties réjouissantes de son métier semblent des souvenirs, ceux de la rencontre avec des écrivains disparus ou très âgés, qui replongent le critique dans une jeunesse regrettée. Chaque trajet en scooter dans Paris est l'occasion de se remémorer cet âge d'or disparu, en passant devant les habitations de chacun des auteurs vénérés.
Car pour le héros, le métier de critique est loin d'être une profession joyeuse. Son couloir devient un dangereux piège : à chaque passage une chute d'ouvrage non lus envoyés lors de la dernière rentrée littéraire risque de tuer le critique. Ce métier, c'est comme le rocher de Sisyphe ou le tonneau des Danaïdes : chaque roman terminé n'est qu'une étape dans une épreuve dont il ne verra jamais le bout, les parutions étant plus rapides que le rythme de lecture du critique.
Même les moments qu'on peut imaginer plaisants deviennent assommants. L'inauguration du Salon du livre de Paris est une véritable épreuve : il faut y être vu, mais on y parle plus du champagne servi sur les stands des éditeurs que de littérature. C'est d'ailleurs un peu le fil rouge de ce roman : on y parle finalement assez peu de littérature, si ce n'est pour évoquer la vie des écrivains. Ce qui, à mon sens, n'est pas vraiment de la littérature.
Pourtant, parler des livres, des films, c'est ce qu'il a toujours voulu faire, depuis tout petit. Sa chronique au Masque et la Plume, où il intervient tous les mois, est un vrai moment de plaisir pour lui. Il s'en sert pour défendre ses idées, contre Onfray, pour Houellebecq face à Ben Jelloun, utilisant cette tribune comme défouloir. C'est d'ailleurs une des autres caractéristiques de l'ouvrage : la façon physique et matérielle dont le héros de Viviant conçoit la littérature. C'est comme un ring de boxe, sur lequel on sent la sueur, les larmes, voire le foutre. Car il y a une dimension sexuelle très forte dans ce texte, qui s'exprime à travers les goûts personnels sado-masochistes du personnage, mais aussi par cette approche très sensuelle du livre et de la matière littéraire.
Certes, l'ouvrage n'est pas exempt de préciosités lexicales ou de parisianisme littéraire, mais La vie critique aborde l'activité littéraire d'un point de vue original : ce n'est pas seulement une expérience intellectuelle, c'est un choc physique. Une idée intéressante à lire !
Extrait :
Il était seul, en première, dans un wagon à moitié vide, tant mieux car le voyage durait cinq heures. Il temporisa un tout petit peu avant de déboucher sa flasque de Laphroaig, un whisky tourbeux qu'il avait découvert en lisant Trevanian, le Ian Fleming américain. Il adorait boire dans les transports en commun, les trains, les avions, le métro. Le métro avec un petit coup dans le nez, il faut avouer que ce n'était plus tout à fait le métro. Mais surtout les trains. Encore un tunnel, puis des champs en espalier, des entrepôts, une rivière sinueuse qu'une départementale suivait en épousant ses méandres. Si bien qu'en se mettant à picoler il se mit à composer une liste des écrivains morts dans des accidents de voiture : Italo Svevo, Albert Camus, WS Sebald, Jean-René Huguenin, Roger Nimier, Françoise Sagan ou presque... Barthes ayant été renversé par une camionnette, cela ne comptait pas.
La vie critique d'Arnaud Viviant - Éditions Belfond - 188 pages
Commentaires
jeudi 3 octobre 2013 à 11h24
Ce livre me tente bien !