Michel Moulin, dit Michelot, fils d’artisan est sans instruction mais bigrement intelligent. C’est là son premier atout. Il a le sens de l’organisation, la jugeote pour décider les autres. C’est un meneur d’hommes naturel. C'est un homme de parole. C'est ce qui en a fait notamment l'homme de confiance de Louis de Frotté, général de l'Armée catholique et royale de Normandie. Même si Michelot n'a jamais cherché les honneurs, les grades.

Après bien des aventures, un emprisonnement au Fort de Joux en Franche-Comté, une évasion périlleuse comme Hollywood aimerait mettre en scène, un périple dans toute l’Europe avec les sbires de la Révolution à ses trousses, il devient espion du roi à Londres et à Jersey.

La Révolution comme la vie politique sont vécues bien différemment quand on est à la capitale ou bien au fin fond des campagnes. Le comportement des Bleus de la République en Normandie ou dans les autres province est tout autre. Les réactions de la population à leur égard varient grandement. Comme lors de l'annonce de la constitution civile du clergé de 1790 ou l’annonce de la mort de Louis XVI le 21 janvier 1973 ou la levée en masse de troupes pour la convention de février 1793 pour faire la guerre contre la Coalition Angleterre-Autriche-Prusse… etc

Comme avec Gaston de Lévis ou Frédéric Guillaume de Vaudoncourt, la révolution nous est présentée dans ces Mémoires comme si nous y étions. Le lecteur se trouve aux toutes premières loges. C'est passionnant !

On est vite happé par ce témoignage d’un opposant des Révolutionnaires et surtout d’un homme non issue de la noblesse. Son point de vue sur l’Émigration (donc sur les nobles réfugiés Outre-Manche) est des plus instructifs. A la Restauration, les Émigrés revenus ont vite oubliés ce qu'ils devaient aux chouans roturiers. Ce qu'à aussi dénoncé F. Guillaume de Vaudoncourt. La rapacité des Blancs sur les titres, privilèges ou positions non légitimes ou mérités est effrayante. Comme toujours et partout, il y a des profiteurs zélés dans tous les camps qui savent tirer leur épingle du jeu.

Michelot parle de manière simple et franche, presque naïve. Il exprime une modestie pleine de droiture. Le but de Michelot est de montrer la sincérité de son engagement et défendre l'honneur de la chouannerie. Car les Bleus, doués déjà en communication, ont présenté au peuple ces Chouans, ainsi que les Vendéens, comme une menace contre les principes et le peuple de la Révolution. La propagande en a fait un ramassis de brigands, coupes-jarrets ou meurtriers sanguinaires. Rien n'était dit quand ils étaient attrapés. Ils sont inhumainement massacrés.

La chouannerie dans le bocage normand a été durant cette lecture comme un exemple de la guérilla installée dans une région. Un exemple flagrant que toutes les armées officielles se cassent les dents quand la guérilla s'installe dans le pays que les adversaires connaissent comme le fond de leur poche. Souvent me venaient des images de la Résistance française contre les occupants nazis avec le souci du ravitaillement, le danger des trahisons, le manque en armes, en hommes... etc. Cette période était une vraie guerre civile faisant des milliers de victimes, où l'on pouvait être trahi, dénoncé par un membre de sa famille tant les convictions politiques, religieuses divisaient la population.

Ces mémoire donnent aussi un tableau du mode de vie et la configuration du bocage normand (Orne, Calvados et Manche) à cette époque mouvementée. Surtout sont ainsi contées plus de vingt ans d'un homme aux convictions profondes, à l'engagement volontaire et déterminé. Un homme droit dans ses bottes, dans ses idées de justice et de respect des convictions, même apolitiques, de tout à chacun. Un homme qui n'en oublie pas le rôle des femmes durant cette période dangereuse. Nombreuses sont celles qui lui ont sauvé la vie, ont soigné, nourri, caché des chouans au péril de leur vie et celle leur famille.

Je recommande vivement cette lecture très instructive, pleine d'aventures. La contre-Révolution racontée par ceux qui sont sur le terrain est nettement plus prenante et captivante qu'une longue liste stérile de dates que l'on a tôt fait d'oublier.

Dédale

Extrait :

Lorsque je fus chez le général Gardanne, il me fit beaucoup de questions sur l'espèce de guerre que nous venions de terminer. Il me parla de l'influence que j'avais sur les troupes que j'avais commandées ; il finit par me proposer du service dans son armée. Je lui dis que mon intention n'avait jamais été d'embrasser l'état militaire ; que c'étaient les suites de la malheureuse Révolution qui m'avaient fait prendre les armes, et qu'on m'y avait forcé. « Comment cela ? » me dit-il. « Par la loi de la réquisition ; je me trouvai dans l'impossibilité de rester neutre. » - « Pourquoi n'avez-vous pas pris les armes pour la République plutôt que de vous être mis contre ? » Je lui répondis que j'avais eu de très fortes raisons pour me déterminer à prendre les armes contre la République. « Quelles étaient donc vos raisons ? Vous n'avez pas de fortune ; vous n'êtes pas d'une famille à parchemins. Je vois que tous vos intérêts auraient dû au contraire vous faire prendre de parti de la République et que vous auriez dû la soutenir de tout votre courage. » - « Je crois bien, général ; la République ne m'a fait perdre ni titres, ni honneurs, ni fortune, puisque je ne possédais rien de tout cela. Mais elle m'a fait perdre le meilleur des pères, qu'elle a fait incarcérer et périr inhumainement dans les prisons ; le seul crime dont il fut accusé était d'être honnête homme. » À cela le général ne répliqua rien ; au contraire, il changea de conversation. Il me proposa du service dans les armées de la République, où il m'assura qu'il me ferait donner le grade qui correspondait à celui que j'avais dans les Chouans : c'était celui de lieutenant-colonel. Il commença par me faire beaucoup de compliments sur ma bravoure, mon intelligence et ma fidélité, et termina ses belles phrases par me dire que si j'avais fait pour la République ce que je venais de faire pour le Roi, je serais général. Je lui dis : « Général, ce n'est point l'ambition qui m'a fait agir. Au contraire, j'ai refusé de l'avancement dans l'armée royale, parce que ne me croyais pas de capacité ni de talents suffisants pour occuper un grade supérieur à celui que j'avais. » Je le remerciai des bontés qu'il avait pour moi en me proposant du service dans l'armée, ajoutant que je pouvais accepter les offres avantageuses qu'il voulait bien me faire ; que tout mon bonheur serait de pouvoir rester tranquille chez moi et y jouir de la paix que le gouvernement venait de nous accorder. Il me dit à cela qu'il voyait bien que je ne faisais que dissimuler, que la soumission que j'avais faite au gouvernement n'était pas sincère, et que je ne faisais qu'attendre une occasion favorable pour reprendre les armes.

Chouan et espion du roi
Chouan et espion du roi : récits de la contre-révolution de Stéphane Vatier - Éditions La Louve - 384 pages