Tout débute dans un avion, au dessus de l’Atlantique. Celui qui amène le narrateur à Buenos Aires. Buenos Aires, la ville rêvée, fantasmée, en particulier par l’intermédiaire des auteurs qu’il a lu et dont il garde en mémoire les écrits : Roberto Arlt, Borges, Bioy Casares. C’est le voyage de sa vie, celui où il va enfin se confronter à la réalité dépeinte par ces auteurs. Pourtant, les quelques secousses subies par l’appareil lors du vol lui font craindre le pire : et si l’avion n’arrive jamais à destination ?

C’est le point de départ des digressions personnelles et littéraires du narrateur. Ces craintes de ne jamais voir Buenos aires, Rio del Plata ou la terre de Feu accaparent son esprit. De ces angoisses, il invente un monde qu’il pensait trouver mais risque de lui échapper. Il imagine les romans qu'il aurait pu écrire mais qu'il a enfoui, lui qui a écrit pour les autres ; il s’invente des personnages, comme cet homme assis derrière lui, qui chantait et qui a mystérieusement disparu. D'ailleurs, quel lien a-t-il avec ce libraire fantasmé, installé Calle Corrientes ; qui vénère les grands auteurs argentins et collectionne leurs ouvrages rares ?

Loin d’être noyé sous les références, j’ai pris beaucoup de plaisir à cet exercice de l’esprit. Rien de très concret ici, plutôt une déambulation littéraire dans les souvenirs de lectures du narrateur, où les fantômes finissent par prendre la place des autres personnages à la fin du roman. C’est un ouvrage qui se déguste, qui vaut beaucoup pour son ambiance, de catastrophe au début du roman, avant de prendre la direction d’une déclaration d’amour à la littérature et à l’Argentine. A savourer sans précipitation, avec quelques ouvrages argentins à portée de main.

Autre ouvrage de l'auteur : Le goût des abricots secs

Yohan

Extrait :

Je comprends maintenant pourquoi je ne suis pas déçu. Pourtant, à avoir tant rêvé ce voyage, il était probable que je le sois. A avoir lu tant de livres et vu tant de films, il était inévitable que mon attente ne se contente pas de ce qu'il me serait donné de voir. A avoir attendu dans le mythe, il était presque écrit que la réalité me semblerait triviale. Et pourtant, la déception n'a pas lieu. La réalité n'est pas humiliée par l'imaginaire. Elle est, au mois, aussi riche. Ici, le rapport ordinaire s'inverse. Ce qu'on imagine est toujours en deçà de ce qui est. Toute vide qu'elle paraisse, cette immensité remplit. Elle contient toutes les épopées et toutes les catastrophes. Tous les désirs et tous les désastres. Elle est la matrice de tous les livres. Le décor naturel de toutes les histoires, déjà là, mais simplement recroquevillées sur elles-mêmes, dissimulées au creux des vallons imperceptibles qu'une fausse horizontalité soustrait à la vue, dans l'attente d'être enfin dépliées par un regard qui saurait voir. C'est cela que je comprends en accostant pour la première fois sur le continent. Mettre le pied sur cette terre, c'est déjà parcourir un arpent de mythe. Même si la réalité est différente, elle égale l'intensité du récit. Elle est plus pleine et plus dense que tout ce qu'un cœur peut contenir. Le rêve y côtoie l'envers du rêve.

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Un roman argentin de Gilles D. Perez - Éditions Naïve - 188 pages