Le narrateur, son homme de main, va partir en repérage sur les lieux. Mieux qu’un guide de Lonely Planet, Jean Rolin nous embarque donc pour un périple entre rive omanaise et rive iranienne, au milieu d’une escadrille composant la flotte navale de surveillance étroite du territoire. Il faut dire qu’il s’agit d’un lieu où transite tout simplement 30 % du pétrole et du gaz mondial et où défilent environ 2 400 supertankers.
Nous sommes donc dans un lieu totalement incongru pour la littérature, où l’on s’attend plus à entendre s’exprimer des spécialistes en économie ou en géopolitique, ou encore des experts en stratégie militaire et navale. Le lecteur saura tout donc des destroyers, sous-marins russes de type Kilo, du porte-avion Enterprise, ou encore de la frégate française Lamotte-Picquet qui patrouillent en prévision d’un hypothétique affrontement naval, dans une tension dite asymétrique entre les forces occidentales et alliées d’une part et les forces iraniennes d’autre part, beaucoup moins dotées mais beaucoup plus retorses.

Au moins large, le détroit fait tout de même dans les 40 kms et l’entreprise de traversée à la nage est des plus risquées. Risque d’être percuté par l’un des innombrables pétroliers qui traversent le détroit, ou par un navire militaire, ou bien encore capturé et passer pour un espion à la solde d’un État ou d’un autre et de finir dans une méchante geôle dont on ne ressortira pas de sitôt.

Jean Rolin nous parle de la beauté des paysages alentour, de la faune – et notamment des oiseaux – qu’on y trouve, comme pour prendre à contre pied l’avalanche de notes qu’on peut trouver sur Internet sur le thème géopolitique. Il suffit en effet de taper sur un moteur de recherche pour être inondé de rapports militaires ou stratégiques.

Wax parviendra-t-il à mener à bien son projet insensé et farfelu ? Le lecteur ne le découvrira qu’à la fin – et encore avec beaucoup de zones d’ombre sur ce personnage fantomatique et fantasque. Mais là n’est pas l’essentiel.
Après sa balade du côté de Los Angeles dans Le ravissement de Britney Spears.et avec beaucoup de digressions – Jean Rolin pratique beaucoup les passages entre tirets ou les parenthèses –, l’auteur signe, vocabulaire recherché et longues phrases au style plutôt chargé obligent, un Ormuz qui a le charme des ouvrages décalés.
Une sorte d’objet littéraire non identifié, loufoque, totalement décalé, dans un lieu où il y a peu de chances que le commun des mortels mette les pieds, dont la lecture se révèle agréable et délassante.

Alice-Ange

Du même auteur : Le ravissement de Britney Spears.

Extrait :

Quelques jours auparavant, depuis le bord extrême d’une petite falaise – je dis « petite », mais elle doit bien faire tout de même trois ou quatre mètres de haut -, Wax, pensif, contemple le détroit. Autant dire qu’il contemple une étendue d’eau apparemment sans limite, dont la coloration varie depuis le blanc laiteux, là où la mer se brise, au pied de la falaise, jusqu’au vif-argent là où elle disparaît, dans une brume scintillante due à l’évaporation, aux particules de sable en suspension dans l’air ou à Dieu sait quoi d’autre. Entre-temps, elle est passée par différents tons de bleu – dont la turquoise est le plus agréable à l’œil, et celui qu’elle revêt aussitôt dégagée du ressac et de son blanc laiteux -, au fur à mesure qu’elle prenait de la profondeur, ce qu’elle fait rapidement, car le rivage, sur la côté sud de l’île d’Hengam, est accore. Mais ce qui le frappe surtout, Wax, dans cette étendue d’eau, compte tenu du projet qu’il a formé de la traverser à la nage, c’est son immensité, bien plus que les nuances de sa coloration.

Ormuz
Ormuz de Jean Rolin - Éditions P.O.L - 218 pages.