Dans Les journées dans le Nord-Est, l’un des cinq chapitres qui composent ce recueil, Mario Rigoni Stern rassemble ses souvenirs de garnison. Enfermé dans un camp de prisonniers tenu par des soldats prussiens, il est installé non loin du campement russe. Malgré les conditions épouvantables, la solidarité entre les soldats russes et l’auteur rend la vie un peu moins sévère et il leur arrive même de se souhaiter un « Buno Natale » le jour de Noël.

Dans la partie III de ces journées, il raconte une scène improbable : pour la fête de la St Hubert, les rares chasseurs restés au village du fond de la vallée ne veulent pas que la tradition séculaire de chasse se perde. Et comme il n’y a plus d’hommes valides, ils ont l’idée de venir demander 3 ou 4 soldats disposés à les aider. Le narrateur fait partie des heureux élus. Commence alors une fantastique chasse au cerf dans le froid transalpin. Avec une surprise finale dont bénéficiera tout le camp quelques jours plus tard :

Un dimanche de novembre, nous eûmes une surprise, une incroyable surprise, si l’on pense à ce qu’était cette époque : après l’habituelle louche de raves et de patates à l’eau, nous eûmes tous un morceau de viande nappé d’une sauce épaisse, succulente, et un bout de pain noir. C’était le cerf, tout le cerf, que les vieux chasseurs avaient voulu donner aux prisonniers : eux, le trophée leur avait suffi.

Témoin privilégié de la vie du XXème siècle dans les montagnes de l’Altopiano, Marie Rigoni Stern a été profondément marqué par le passage des deux guerres sur ces territoires.

Les autres récits s’intitulent Avec le ciel et les forêts, Saisons de vie en compagnie des abeilles, Travaux de montagne ou encore Le dernier voyage de l’émigrant. L’auteur y décrit la vie rude des montagnards de l’époque : on y apprend ce qu’est une tourbière, une carrière de marbre rouge, ou encore un four à chaux. On y apprend comment se déroule la vie dans les pâturages, la vie des bergers ou des bûcherons.

Une vie rude, mais toujours en harmonie avec la nature qui l’environne.
Et même si on y pratique la chasse, c’est toujours avec un profond respect pour les animaux. Avec un hommage particulier à tous les chiens qui ont accompagné l’auteur.
Un respect qui est à l’image de ce récit d’une chasse au renard :

Pour chasser au fusil, en revanche, il fallait beaucoup de patience, et encore plus de résistance au froid, car tout le monde n’était pas capable de rester immobile dans la neige pendant des heures.

De très beaux récits, qui rappellent le magnifique Vent largue de Francesco Biamonti, par un auteur amoureux de sa région d'origine, le plateau d'Asiago dans la province de Vicence en Vénétie. La nature est au cœur de ses thèmes favoris, à laquelle il rend hommage dans de nombreux ouvrages avec une grande simplicité et sincérité. Hommes, bois, abeilles en est un exemple accompli.

Alice-Ange

Extrait :

Il entra dans les bois par un sentier qui conduisait à certains replats et clairières où les bécasses nichaient le soir, quand elles sortaient pour pâturer. Grâce à la lueur de l’aube il distingua les cimes des montagnes noyées dans les brouillards de l’automne et, entre les mélèzes jaune-or qui semblaient diffuser une chaude lumière, il entendait le vol bref des mésanges.
Son chien courait, fou de joie, mais quand il arriva aux bons endroits, il l’appela à voix basse et lorsqu’il s’approcha de ses jambes il le gratta derrière les oreilles pour le calmer : « Maintenant ça suffit, sois sérieux, tu as assez couru comme ça. Maintenant je te mets ton grelot et toi tu marches prudemment. »
L’humidité du bois, l’odeur de la terre humifère, les couleurs des feuilles de hêtre, du sorbier, du saule des chèvres, de l’aulne blanc tranchant sur le vert sombre des sapins et la splendeur flamboyante d’un merisier ; lui avec son chien ; et le silence amplifié par les brefs appels des oiseaux de passage, par le battement d’ailes d’une grive, par le tintement argentin du grelot attaché au collier de son chien. Marcher comme ça pendant toute la vie. Toujours.

Hommes, bois, abeilles
Hommes, bois, abeilles de Mario Rigoni Stern - Éditions La fosse aux ours - 128 pages
Traduit de l'italien par Monique Baccelli