L'auteur de la lettre, Bjarni, vieux fermier éleveur de moutons, écrit une longue missive à Helga, une femme qu'il a aimé passionnément (dit-il), à laquelle il a renoncé, mais qu'il n'a jamais oubliée. En fait, il lui répond bien tardivement, puisqu'elle est morte maintenant. Dans cette lettre-confession, Bjarni énumère les motifs qui l'ont poussé à renoncer à Helga : un attachement viscéral à la terre où ont vécu ses ancêtres, à ses moutons, à sa vie d'homme libre dans la rude Islande, beaucoup plus qu'à ses liens avec une épouse qu'il n'aimait pas. Ce faisant, le lecteur ne peut s'empêcher de penser que ses moutons et son tracteur ont plus compté dans sa vie que sa passion pour Helga. La confession tourne souvent à l'autojustification, car Bjarni en arrive à rendre la femme aimée responsable de la rupture : Je ne regrette rien, Helga. Puisque c'est toi qui as voulu qu'il en soit ainsi. C'est pourquoi, je l'affirme : il n'a jamais été question de choix pour moi. C'est à toi qu'il appartenait. Et tu n'as pas voulu de moi.
La réalité est plus nuancée.
Au fil des pages, Bjarni raconte sa vie d'éleveur de moutons dans l'Islande des années quarante, pendant l'occupation américaine, ses multiples activités : outre les soins donnés aux moutons il était pêcheur, contrôleur du fourrage, membre actif de la Coopérative des fermiers islandais, membre du cercle de lecture. On sent chez lui un amour des animaux, des oiseaux, d'une terre difficile qu'il connaît bien. Tout ceci est exprimé dans une langue parfois crue et triviale, souvent poétique, imprégnée de la connaissance des anciennes sagas. Des anecdotes pittoresques que je laisse découvrir au lecteur, donnent de la saveur au récit. C'est cet aspect documentaire qui m'a le plus intéressée.
Par contre, la comparaison que fait le narrateur (l'auteur ?) entre la ville et la campagne m'a semblé très convenue. Je n'ai pas cru davantage à cette histoire d'amour impossible, qui me paraît très artificielle et « fabriquée ». On sent trop l'auteur qui tire les ficelles derrière le personnage.
Au final, ce court roman (il valait mieux qu'il soit court !) me laisse une impression un peu mitigée.
Marimile
Extrait :
J'ai appris à interpréter le souffle qui sort des naseaux du bœuf. J'ai senti la nature puissante des bêtes m'envelopper et me revigorer. J'ai vu l'homme bleu caché et entendu des revenants frapper à la porte. J'ai senti les forces mystérieuses de l'existence au cour des buttes et aux endroits ensorcelés et j'ai effarouché les génies tutélaires au moment où mon cheval s'est arrêté. J'ai entrevu des lumières d'il y a longtemps. Personne ne comprend qu'on puisse voir des lumières d'il y a longtemps, et moi je me fiche pas mal que personne ne comprenne ce que cela veut dire. J'ai appris à déchiffrer les nuages, le vol des oiseaux et le comportement du chien. J'ai éprouvé l'étonnement du premier colon et mesuré l'envergure des premiers habitants de ce pays. J'ai perçu l'angoisse du feuillage aux éclipses de lune, j'ai levé les yeux dans les côtes et senti mon âme s'élever hors de moi tandis que je conduisais mon tracteur.
La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson - Éditions Zulma - 131 pages
Traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson
Commentaires
dimanche 22 décembre 2013 à 18h06
Les avis sont en effet très différents sur ce roman... du coup, j'ai très envie de le lire
lundi 23 décembre 2013 à 09h47
Liliba, vous me donnerez votre avis. Moi aussi, j'ai lu d'excellentes critiques sur ce roman qui a fait un tabac en Allemagne et les pays scandinaves...