Depuis qu’elle a rencontré Juliàn, brillant universitaire et philosophe, plus âgé qu’elle mais si séduisant, elle a un peu délaissé son Etude sur les Femmes Illustres pour lui consacrer tout le temps qu’il veut bien lui accorder. Certes, elle n’est pas sans savoir que la concurrence est rude, cela la flatte plutôt, jusqu’à la découverte de la fameuse lettre. Avouer qu’elle a fouillé dans ses affaires ? Lui faire confesser son infidélité ? Impossible. Marcela se livre donc à un espionnage frénétique et obsessionnel, poussant son amant à inviter des amis et surtout des amies capables de la mettre sur la voie.

Et c’est lors d’une fête qu’elle découvre avec certitude que Juliàn la trompe. A ce moment du récit, le centre d’intérêt se déplace vers ce dernier : proche de la cinquantaine, nanti d’une ex-femme et d’un fils de quatorze ans dont il ne sait que faire, il jongle avec les concepts comme il jongle avec ses nombreuses conquêtes, de l’étudiante béate d’admiration à des jeunes femmes séduisantes et cultivées comme Marcela ou… Silvina. Celle-ci réussit à le faire venir à New-York où elle a obtenu un poste d’attachée culturelle, sous prétexte de recherches universitaires. Juliàn va et vient entre New-York et Mexico, entre Marcela et Silvina.

A son premier retour, il a retrouvé une Marcela changée, beaucoup plus affectueuse et sexy, elle qui rêvait d’être aimée pour son esprit et non pour ses formes. Juliàn est déconcerté par ce revirement, de même qu’il commence à se lasser des messages incessants que lui envoie Silvina.

C’est alors qu’entre en scène Sabine, jeune anesthésiste de 24 ans, une enfant, un nouveau modèle du style Balthus, qui ferait toujours ce qu’elle voudrait dans la vie. Elle l’initie entre autres choses à l’ecstasy et là, le cinquantenaire n’est plus du tout maître du jeu. Le chasseur qu’il était est devenu une proie, empêtré dans des liens dont il n’arrive pas à se défaire, et transformé en jouet sexuel de Sabine.

Lorsqu’il se réveille un jour dans une chambre d’hôpital, Juliàn a la surprise de se retrouver face à ses trois maîtresses, qui, telles des divinités vengeresses, lui font part des châtiments qu’elles lui ont réservé, chacune à sa manière. Et l’universitaire érudit qui connait tout, de Platon à Kierkegaard, découvre un peu tard que la jalousie, ce quelque chose jamais dit ni même évoqué de manière détournée à une époque où son nom est devenu synonyme d’insécurité, de possession absurde, est un moteur puissant, toujours d’actualité, de la vengeance.

La romancière mexicaine Rosa Beltràn réussit avec Haute infidélité une brillante satire d’un monde qu’elle connait bien, le milieu universitaire et intellectuel. Si son « héros » sort mal en point de ses aventures, les femmes ne sont pas épargnées elles non plus. Dans cette fable qui s’appuie sur des références littéraires placées là fort à propos, l’auteure pointe avec malice, les travers d’une société qui se croit moderne et libérée quand elle ne fait que reproduire des schémas vieux comme le monde. C’est drôle, léger, pétillant : à déguster sans modération.

Marimile

Extrait :

Voilà où mène l’espionnage : on commence à chercher dans ce qu’on a sous les yeux et on finit par découvrir davantage en soi-même. Il prend aussi des formes pires : trouver un indice signifie qu’il y en a d’autres à recueillir. Et cette multiplication miraculeuse des poissons et des pains du soupçon ne s’arrête pas à l’objet, elle constitue un point de départ : tout indice recèle une histoire, fausse peut-être, ou conjecturale, mais une histoire qui en cache une autre et une autre encore. Un exemple : le relevé d’un compte bancaire aux États-Unis au nom d’une certaine Mirta Ruiz que Marcela avait déniché entre les pages d’un livre. Qu’est-ce que ça veut dire ? Pourquoi cette femme s’occupe-t-elle de son argent - quel argent ? Et surtout : a-t-il l’intention de partir ? De la quitter ? Oui ?

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Haute infidélité de Rosa Beltràn - Éditions de la Différence - 187 pages.
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Pauline Duval