Lilith est une jeune fille trop petite pour son âge. Un médecin, d'origine allemande et qui se présente comme vétérinaire, est immédiatement intéressé par cette jeune fille au physique anormal. Dès qu'il l'aperçoit, il imagine qu'elle est le cobaye parfait pour appliquer sur l'être humain ses expériences : mesurer si l'injection d'hormones a un effet sur la croissance.
Voulant se rendre à Bariloche, dans le sud du pays, il suit la voiture de Lilith et ses parents. Eux se rendent dans le sud pour reprendre une pension de famille. La traversée du désert est compliquée,mais ils parviennent à rejoindre le lieu prévu qui rappelle à Josef la Suisse. Débute une relation ambiguë entre cette famille et le médecin, qui apporte une aide logistique pour la construction de poupées en porcelaine, hobby du père, tout en gardant secrète ses expériences médicales.
Avec le personnage de Josef, ancien dignitaire nazi haut placé (dont je tairai le nom dans ce billet), Lucia Puenzo parvient à rendre l'horreur de la pensée d'un des plus grands criminel nazi. Il est obsédé par la pureté de la race et ne voit dans le mélange des cultures qu'une cause de déchéance. Ici, il mystifie ses hôtes qui lui accordent peu à peu leur confiance, mais aussi les services secrets israéliens qui sont à ses trousses.
Car le roman est à la fois une intrigue bien ficelée et très habilement menée, mais aussi un regard sans concession sur le rôle que l'Argentine a joué dans le recyclage des nazis. Si le danger est permanent pour le médecin, ce n'est pas à cause des autorités argentines, mais des israéliens qui réussissent notamment à capturer Eichmann à Buenos Aires. On y découvre l'implantation d'une importante colonie allemande, installée de longue date. La communauté a son école, où on parle allemand, et sert de point de relais pour les nazis en fuite, reçus comme des héros. Et c'est bien la complaisance de la société argentine qui est au cœur du roman.
Lucia Puenzo a signé une adaptation de son roman, sorti en France à l'automne sous le titre Le médecin de famille. Si le fond de l'histoire est identique, elle a pris pas de mal de liberté avec les personnages, avec leur présentation, en particulier pour le docteur qui apparaît beaucoup plus inquiétant dans le roman. Les deux exercices sont réussis et sont un bon exemple pour montrer que l'adaptation d'un roman ne peut pas se faire de façon automatique, mais demande un travail spécifique.
Yohan
Extrait :
Avant qu'Enzo ait pu refuser, l'Allemand sortit un paquet de photos d'une enveloppe kraft. Il s'agissait de ses dernières expériences menées lors de séjours dans les environs de Buenos Aires. Un veau, malade sur un cliché avant de recevoir des hormones, se révélait fort et plein de vie sur un autre.
- Voilà ce qu'obtient mon traitement.
- C'est le même animal ?
Il acquiesça.
- Il y a un mois d'écart entre les deux photos.
Il savait qu'il valait mieux ne pas insister, mais il ne peut s'en empêcher.
- Si vous me permettiez de traiter Lilith pendant...
- Lilith n'est pas un animal, l'interrompit Enzo.
C'était la réplique que Josef attendait pour brandir des photos plus anciennes sur lesquelles figuraient des enfants en blouse blanche, avant et après traitement intensif à base d'hormones et de compléments diététiques; Ils avaient beau sourire, quelque chose dans leur regard noua la gorge d'Enzo.
- Qu'est-ce que c'est que cela ?
- Des patients, dit Josef avec l'impunité dont il jouissait encore grâce au voile du secret qui entourait tout ce qui s'était passé ces années-là. On utilise le même médicament pour les animaux et les humains. Il omit de préciser que lorsqu'ils étaient choisis, ces enfants étaient à nouveau nourris. Ils dormaient dans un pavillon où ils bénéficiaient de couvertures, pouvaient se laver deux fois par semaine et manger trois fois par jour. Ils fixaient l'objectif, immobiles à côté d'une croix sur le mur, qui marquait la courbe de croissance de chacun.
- Lilith pourrait grandir d'environ huit centimètres. Peut-être davantage. Tout ce que je vous demande, c'est de m'autoriser à lui faire une injection une fois par jour. Le seul risque, c'est une simple allergie... Pourquoi n'en discutez-vous pas avec votre épouse et votre fille ?
- Il n'y a rien à discuter.
L'irritation qu'il perçut dans la voix d'Enzo força l'Allemand à se taire.
Wakolda de Lucia Puenzo- Éditions Stock - La Cosmopolitaine - 220 pages
Traduit de l'Espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet
Commentaires
lundi 17 mars 2014 à 19h16
J'ai beaucoup aimé ce roman, dont j'ai publié la critique cette semaine. J'ai également lu La Malédiction de Jacinta que j'ai beaucoup aimé. C'est franchement une auteur que je vais suivre !
mercredi 19 mars 2014 à 10h30
C'est pour ma part ma première rencontre avec cette auteur, qui est effectivement très intéressante. Je note le titre que tu as cité, si jamais je le croise...
mardi 25 mars 2014 à 17h08
Je viens de finir Wakolda...quellle maîtrise du sujet car aucun voyeurisme, pas de jugement pour cette famille attirée par Mengele
Et les poupées aryennes......une trouvaille!
On y voit aussi d'autres thèmes, comme le problème des minorités Mapuches exterminées elles aussi mais par les espagnols..
L'Argentine n'en a pas fini avec ses démons