Un point de vue féminin, un masculin, en alternance.
Je le regarde dormir, je me sens loin de lui pendant ces nuits d’insomnie. Je le contemple, si calme, avec des draps autour. Je suis complètement seule, à côté de cet homme qui dort dit l’une.
Puis Elle lit dans la véranda, de nuit, sous le rond de l’ampoule nue au plafond. Au-dessus de ses cheveux, des phalènes lui font une auréole, à moins que ce soient les pensées sorties du livre par sa tête. En tout cas, ça vibre et ça tournoie dit l’autre.

Des liens éphémères, rencontres amoureuses, des ratés, des déchirures.
Des traces, des souvenirs, des égarements.
Des silences, des absences.
Toute une palette d’émotions aussi : jalousie, désir, rancœur, plaisir, désespoir, des émotions en quelques mots seulement. Des sensations également. De la solitude, beaucoup.
Ils et elles sont parfois jeunes, parfois vieux.
Il y a l’idée que ça ne durera pas. Mais que c’est comme ça.
Avant de la connaître, je parlais seul chez moi. J’étais un célibataire endurci et maniaque. Je me faisais la conversation tout seul tout haut tout le temps. Elle m’a enlevé cette manie. Depuis qu’elle n’est plus là, c’est le silence, qui est fait de l’absence de sa voix, de la mienne y répondant. dit celui-là.

Le corps est très présent. Mais aussi la voix, le sexe, les cheveux.
Tous ces petits riens qui restituent l’autre par sa présence, son absence.
L’aimer c’est m’inquiéter dit par exemple l’une des voix. (…) il m’inquiète à la gorge, au ventre, dès que je m’arrête. Et mon corps alors me rappelle le poids, au ventre, à la gorge, ce poids qui est de l’aimer.

Ce pourrait être vous, ce pourrait être moi. C’est peut-être l’histoire d’Emmanuelle Pagano parfois :

Parmi les hommes que j’ai aimés, il y a ceux qui m’ont aidée à écrire, ils accompagnaient le travail de leur seule présence, et puis il y a ceux qui défaisaient mon livre, méthodiquement, jalousement, par des remarques choisies et sous n’importe quel prétexte, phrase après phrase.

La mémoire, le souvenir d’une autre relation perdure. Le ton est mélancolique, doux, sensible, un rien désabusé.
Ce sont de petits riens. Des petits riens intimes, de petits fragments de la vie de tous les jours.
Et ces liens tissés et détricotés nous laissent avec un goût de nostalgie dans la tête.

Alice-Ange

Du même auteur : L'absence d'oiseaux d'eau.

Extrait :

Je la croise tous les soirs dans le grand escalier qui relie la ville basse à la ville haute, cet escalier qui n’en finit pas et que je maudissais pour ça. Mais depuis qu’elle le descend, tous les soirs, au moment où moi je le monte, je n’attends que ça, toute la journée, l’heure de l’escalier. Je ne traîne plus jamais au travail comme la solitude m’en avait donné l’habitude. Elle aussi, elle est toujours à l’heure, parfois essoufflée, échevelée, et encore plus belle, et je ne sais pas si elle s’est dépêchée pour ne pas me manquer, ou si elle a eu une dure journée.

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Nouons-nous de Emmanuelle Pagano - Éditions P.O.L - 203 pages