Gabriel n'en peut plus du silence de ses parents. Celui dont il est conscient, c'est celui qui entoure la mort de sa sœur aînée, renversée par un chauffard. A partir de cet accident, ses parents se sont tus et ont laissé le jeune homme seul, avec ses questions. Alors, il a essayé de se réfugier dans la littérature, auprès d'un libraire de sa petite ville de Champagne chez qui il dépensait tout son argent de poche, avant de partir, loin.

Le secret qui lui pèse et dont il n'est pas conscient concerne ses grands-parents et l'origine de ses parents. C'est à l'occasion d'un séminaire à Budapest, avec des confrères européens traducteurs de Thomas Mann, qu'il commence à avoir une idée de ce qu'on lui cache.

Mais là où l'histoire de Gabriel devient très intéressante, c'est qu'il est victime de secrets de ses parents, mais qu'il reproduit le même processus sur ses proches. Ainsi, Laura ne sait rien de ce qui concerne l'accident de sa sœur. Son meilleur ami, Léo, qui lui a avoué un drame du même ordre, n'en sait pas plus lui non plus. Gabriel se débat seul et n'arrive pas à intégrer ses proches à ses réflexions. Même sa crainte de la paternité n'est pas assumée : c'est par un message envoyé à Léo et lu par accident que Laura se rend compte des doutes de son mari.

L'écriture de Jean Mattern est très agréable et léchée. Le tout se lit avec grand plaisir. C'est la deuxième fois que je lis ce roman, et mon impression de lecture est assez différente. Alors que j'avais été gêné par l'aspect lisse du récit de cet homme en profond trouble, je n'ai pas ressenti cela lors de ma relecture. Cette fois-ci, j'ai beaucoup plus apprécié l'écriture de l'auteur qui parvient à rendre passionnante cette intrigue sans esbroufe littéraire. C'est peut-être ce qu'on appelle le style, et Jean Mattern n'en est certainement pas dépourvu.

Autres ouvrages de l'auteur : De lait et de miel, Simon Weber

Yohan

Extrait :

Je fréquente peu mes voisins, mon travail est solitaire, et quand je fais les courses, seuls les marchandages avec les épiciers pakistanais de mon quartier me renvoient à ces longues années où rien ne me permettait d'échapper à ces mots si banals et si quotidiens. Des mots ordinaires. J'ingurgitais les langues étrangères à marche forcée pour me protéger de ces deux mots tellement ordinaires. Les laisser derrière moi, les noyer dans d'autres sons, d'autres vocables. Ce que j'avais pressenti comme une liberté nouvelle en commençant l'apprentissage de l'anglais, sans en mesurer l'étendue, devint jouissance : lors de mon premier voyage en Angleterre je pris conscience que je pouvais m'exprimer dans une autre langue. Ce fut aussi ma première rencontre avec la volupté. Comme un garçon qui apprend à se servir de son sexe pour se donner du plaisir ; d'ailleurs cela arriva au même âge. Je ne l'ai jamais oublié, et aujourd'hui encore, la grammaire anglaise se confond pour moi avec l'expérience de la liberté - et du plaisir. L'anglais m'avait procuré une jouissance inconnue, et une illusion : pendant longtemps, parler anglais m'autorisait à croire que les événements de mon passé résisteraient à la traduction. Qu'ils s'effaceraient de ma mémoire, si seulement je m'accrochais à des mots que mon père n'aurait jamais pu prononcer, des mots d'une autre langue.

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Les bains de Kiraly de Jean Mattern - Éditions Sabine Wespieser - 133 pages