En ce début décembre, Carole a quitté Saint-Etienne pour le Val où elle est née, répondant à l’appel de son père qu’elle n’a pas vu depuis de nombreuses années. Pour annoncer sa venue, comme à chaque fois, il lui a envoyé une boule à touristes pleine d’eau avec de la neige en synthétique et un cheval à bascule à l’intérieur. Son frère Philippe, garde-forestier dans la Vanoise et sa jeune sœur Gaby, femme de ménage à l’hôtel du coin, ont également reçu chacun leur petite boule de verre et attendent sans trop y croire, le retour du père. Eux n’ont jamais quitté le Val et leur relation avec Carole est assez distante. Au village, celle-ci retrouve aussi des visages familiers : Francky, le patron du bar « La Lanterne » qui lui loue un gîte, le vieux Sam qui tient une boutique de souvenirs, son fils Jean l’ami d’enfance, la Baronne qui soigne des chiens abandonnés. Pour occuper l’attente, Carole a emporté un travail de traduction d’une autobiographie du peintre Christo. Elle alterne ainsi travail, et promenades dans les lieux de son enfance et où se trouvait leur maison détruite par un incendie. Elle prend souvent ses repas dans le café de Francky, observant les allées et venues de la jolie serveuse et les habitués, tramps et employés de la scierie. Le café de Francky est au cœur de la vie du village : on y trouve chaleur et réconfort, on y discute l’avenir du Val ; les tenants de la modernité (faire du Val une station à la mode) et ceux de la tradition (laisser les choses en l’état), s’affrontent dans des joutes sans fin. Le lecteur retrouve là, mais en version montagnarde, l’atmosphère du café des Déferlantes.

Carole renoue peu à peu des liens distendus avec sa sœur Gaby qui vit chichement dans un mobil home avec la Môme, une adolescente dont elle s’occupe, attendant le retour de son mari Ludo, en prison à Varces. Elle pensait ne rester que quelques jours, mais le retour du père se fait attendre et les jours passent, Noël puis le jour de l’An… Peu à peu elle s’installe dans cette parenthèse qui s’étire, et l’impatience du début fait place à l’acceptation de ce temps hors de sa vie habituelle. Le passé, l’enfance reviennent en force et Carole se pose et pose à son frère et à sa sœur des questions qui recommencent à la hanter depuis l’incendie qui a ravagé leur vie, auxquelles ils ne répondront qu’à la fin : avant, tu ne pouvais pas comprendre lui dira Gaby.

Une part de ciel est un roman intimiste où les liens familiaux sont évoqués avec pudeur et sensibilité. Les hommes de cette famille sont singulièrement absents mis à part Philippe : le mari de Carole est parti, Ludo disparaît, le père n’arrive toujours pas. Si les autres personnages me semblent plutôt faire partie du décor et manquer d’épaisseur, Caudie Gallay sait créer une atmosphère, ici la vie rude d’un bourg isolé et surtout celle d’une montagne austère et violente qui ne se laisse pas aisément domestiquer. Les paysages, la neige, la forêt, sont décrits avec force, et les plus belles pages du livre leur sont consacrées ; l’abattage de trois grands chênes ou le damage nocturne des pistes prennent ainsi sous sa plume une dimension épique.

Mais le lecteur doit aussi accepter le déroulement lent, minutieux et précis des moindres faits qui font le quotidien d’une vie :  Je suis revenue au gîte. J’ai fait chauffer du lait. Je n’avais plus de miel, seulement l’odeur dans le pot. J’ai bu le lait sans rien. J’ai lavé le pot, je l’ai mis à sécher sur un torchon posé sur l’évier.  C’est la petite musique de Claudie Gallay. On aime, ou pas. Il faut de plus passer sur les tics de langage (qui peuvent devenir vite agaçants) de l’écrivaine qui ponctue les fins de dialogues par des « je dis », »elle a dit », « elle dit » :  Viens  t’asseoir, elle a dit, Gaby.  Il y en a d’autres…

Ces réserves mises à part, j’ai assez aimé ce roman, qui me semble cependant un ton en-dessous des Déferlantes. Mon préféré reste Dans l’or du temps.

Marimile

Du même auteur : Les déferlantes, Dans l'or du temps, Seule Venise.

Extrait :

Je me suis tendue. J’ai eu envie de partir, brusquement. Retrouver Saint-Etienne, mes rues, mon café, mes odeurs, le roulement rassurant des poubelles au petit matin, voir du monde, me plonger dans cette familiarité particulière, refermer la porte et me nicher dans mon appartement-cage, ce creux de ville où m’attendaient toutes mes affaires, les miennes et celles qui me restaient des trois départs, celui des filles et de leur père.
Le cercle imparfait de la lampe se reflétait dans ma tasse. J’ai brassé dans le liquide noir.
J’ai regardé Philippe.
- Quand est-ce qu’il va arriver ?
- Quand tu arrêteras d’y penser….
J’ai senti la colère monter. Être ici me rendait chaotique.

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Une part de ciel de Claudie Gallay - Éditions Actes Sud - 446 pages