Nous sommes en 1873. Le peintre Courbet vient de vivre l’épisode difficile de la Commune.
David Bosc va surprendre le peintre dans cette année où il décide de partir se réfugier en Suisse, non loin de sa Franche Comté natale.
Petit rappel historique : Courbet vient d’être élu au Conseil de la Commune en avril 1871, et a été mis en cause dans le déboulonnage de la colonne Vendôme, arrêté et condamné à six mois de prison et est sur le point d’être condamné à redresser la fameuse colonne à ses frais.

Il y a tant à dire à propos de cette Claire fontaine, où l’on sent que l’auteur a beaucoup observé la peinture de Courbet.
Commençons donc comme lui, lorsque nous nous arrêtons auprès de l’eau de la Loue, celle que Courbet a beaucoup peint par temps d’orage par exemple :

L’eau de la Loue, au bleu de l’aube, a le renflement de l’huile. La maison ventrue du père y trempe de tout son long, miche dure mise à mollir pour les oies ou les coquecigrues. Et Courbet prenait la route avec la confiance heureuse, impensée, de qui a chez son père un port où faire relâche, un port-salut en cas de gros temps ou de mortelle fatigue, un repaire, enfin, où se protéger du vacarme et du silence.

David Bosc va dérouler ainsi les quelques années qui sépare le peintre de la fin de sa vie.

Entrecoupé d’extraits authentiques de rapports de police (Courbet est probablement espionné), le récit met en scène les deux passions qui l’animent dans la vie : la peinture et le bain. David Bosc le débusque ainsi dans les gorges de Nouailles, entre Lods et Mouthier-Hautepierre quand, sans un mot, il jet[e] son sac et se déshabill[e].
Et il nous le décrit dans toute sa gouaille et sa joie de vivre :

Courbet sauta dans l’eau à la façon d’un cheval, le nez en l’air et la poitrine en avant. L’orage de la veille avait grossi la rivière, qu’un encaissement de roche faisait tonique en toute saison.

Désormais le peintre se doit d’honorer un nombre considérable de commandes et s’[est] mis dans la tête de changer en or l’énorme scandale de son nom. Car Courbet est tout sauf un imbécile. Il a opté très tôt pour la stratégie que lui confère le scandale : beaucoup d’ambition pour sa peinture mêlée à une très grande confiance en soi le conduisent à tout mettre en œuvre pour se faire connaître. Dans quelques années, on appellera cette stratégie du Marketing.
Mais pour le moment Courbet, dès mars 1872, après avoir purgé sa peine d’emprisonnement, avait engagé des aides pour accélérer sa production de paysages avec ou sans gibier (..) ils préparaient les couleurs, montaient les châssis qu’ils tendaient parfois de toile mais plus souvent de papier fort, brossaient les fonds de brun, de rouge sombre.

Alors, Courbet est-il ce peintre industrieux qui peint une vingtaine de tableaux en deux mois et demi seulement ?
De Courbet (…) les bourgeois (mot bourgeois) ont décrété qu’il était un rustre peignant accidentellement des somptuosités, sans savoir ce qu’il faisait. (…) Courbet a fait la bête assidûment, il a joué au benêt, c’est-à-dire au plus fin – on a beau ne rien lire, Molière ou la Fontaine, le Roman de Renard, les grandes leçons de la rouerie française doivent passer par le lait, ou bien dans l’air. nous explique David Bosc. Les Bourgeois veulent des Château de Chillon ? Il en peindra des dizaines s’il le faut. Il peindra des lacs, des châteaux et des montagnes, tout ce que les gens aiment avoir sur leur cheminée de salon.

Il y a encore quantités de trésors dans ces cent seize pages où rayonnent la bonhomie et la joie de vivre malgré la maladie : on y voit défiler des hommes illustres (Victor Hugo, Baudelaire, dont il réalise le portrait), on nous raconte les relations entre le père Régis et son fils, mais surtout David Bosc mettra en scène les femmes elles-mêmes – de très belles pages notamment à propos des représentations des dormeuses chez Courbet -, ou nous parlera du goût de Courbet pour la boisson ou les virées dans les bars.

Personnellement je l’ai lu et relu, une anthologie de ses tableaux à la main, guidée par le récit de cette Claire fontaine. Je suis même retournée au Musée Fabre de Montpellier pour m’imprégner de quelques toiles et me replonger dans les tableaux de la collection Bruyas.

Courbet avait besoin qu’on s’occupe de lui parce qu’il aimait qu’on s’occupe de lui.

Tout est dit et David Bosc réussit magistralement cette évocation, quitte à utiliser tous les trésors de la ponctuation pour dire la gouaille et la verve du peintre français. Une belle tentative de traduire par la plume ce que Courbet a tenté de peindre toute sa vie, un style superbe et un vrai succès à ressusciter le peintre avec beaucoup de réalisme et à le faire revivre pendant quelques pages, sans toutefois tomber dans le panégyrique.
David Bosc nous donne juste l’impression d’avoir assisté en direct à ses dernières années : un très bon récit.

Alice-Ange

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Extrait :

Palavas ! C’avait été à Palavas, vingt ans plus tôt, que Courbet avait découvert le cagnard, la grande lumière en Languedoc. Sa palette s’en était trouvée éclaircie : cette réaction chimique ne surprenait plus guère. Le voyage d’Italie, depuis un siècle au moins, était concurrencé par d’autres Sud, plus rudes, plus pauvres, et par l’Orient, sans pour autant que changeât cet afflux soudain, chez les peintres dépaysés, de l’or et du blanc d’Espagne. Davantage de lumière, aussi simplement que s’éclairent les cheveux des enfants au soleil. Point de révolution. Le temps viendrait un peu plus tard des conversions violentes du Midi, de ces artistes transis intérieurement, grelottants, auxquels le bleu du ciel et le miroir d’acier de la mer feraient comme un éden, sous une loi terrible, un Walhalla. Un jour d’octobre 1888, partis d’Arles en chemin de fer, Gauguin et Van Gogh iraient ensemble à Montpellier découvrir les Courbet de la collection Bruyas

La claire fontaine
La claire fontaine de David Bosc - Éditions Verdier - 116 pages