Mascha, la narratrice, d'origine russe, azerbaidjanaise, juive et naturalisée allemande est arrivée de Bakou avec sa famille pour fuir les massacres entre Arméniens et Azéris qui se disputent le Haut-Karabagh, province autonome azéri et revendiquée par les Arméniens depuis les années 90. Ce conflit peut-être moins médiatisé en France que le Kosovo, a fait des milliers de victimes et provoqué de nombreux déplacements de population.

Dès son arrivée en Allemagne encore fillette, Mascha a compris en accompagnant ses parents au bureau de l'immigration que les langues sont synonymes de pouvoir. Qui ne parlait pas allemand n'était pas entendu et qui le parlait de façon maladroite n'était pas écouté. Les demandes étaient accordées selon la lourdeur des accents. En foi de quoi, elle fait de brillantes études d'interprétariat et parle cinq langues, dont l'arabe et sa variante libanaise, en partie grâce à un ex petit copain libanais, Sami.
Elle vit à Francfort avec Elias qui vient de l'Allemagne de l'Est et qu'elle a rencontré après le départ de Sami aux Etats-Unis. Ils ont des amis turcs, allemands, croates. Sa vraie patrie, le pilier de son existence, c'est Elias, même si des différents dus à leur vécu antérieur les opposent parfois. Mais Elias meurt brutalement, des suites d'une blessure mal soignée. Pour Mascha, c'est un effondrement : elle perd tous ses repères, et ne survit que grâce aux anxiolytiques, et au dévouement de sa mère et de ses deux amis, Sami le Libanais revenu des USA et Cem le Turc né en Allemagne. Sur un coup de tête elle part en Israël à la recherche d'un lieu de vie possible, pour travailler comme interprète dans une fondation allemande de gauche. Mais dès son arrivée à l'aéroport de Tel-Aviv, des policiers fusillent - au sens propre - son ordinateur, pensant qu'il contenait une bombe. Bienvenue en Terre promise  ! lui diront-ils en guise d'excuse. La plage et le soleil ne lui font pas oublier les fantômes qui la poursuivent, ceux d'un passé traumatisant et celui d'Elias dont elle n'arrive pas à accepter la mort. En Israël, puis en Palestine, elle retrouve la même violence que celle qu'elle avait fui, et les nouveaux amis rencontrés, Israéliens et Palestiniens sont aussi tourmentés et empêtrés qu'elle dans leurs contradictions. Où aller alors ? Ce qui est sûr, c'est que pour Mascha, Israël ne sera pas la Terre promise.

A travers les errances de la narratrice, Olga Grjasnowa fait le portrait d'une jeunesse en plein désarroi existentiel qui voudrait faire fi des nationalités et des frontières, mais ne peut y échapper, héritière de conflits passés et non résolus, et en butte à un racisme latent qui ne demande qu'à se développer.
Les questions identitaires, d'appartenance, d'immigration, qui sont au coeur du roman, sont traitées à vif dans des situations concrètes qui peuvent mettre à mal parfois la (bonne) conscience du lecteur.

Ce livre, d'une grande force émotionnelle, mérite vraiment d'être découvert.

Marimile

Extrait :

Pendant la fouille, je fus interrogée. Qui connaissez-vous en Israël ? Chez qui vous allez habiter ? Pour qui allez-vous travailler ? En quoi consiste votre travail ? Le soldat me regardait droit dans les yeux. Il voulait savoir pourquoi j'étais venue en Israël, pourquoi je n'étais pas venue plus tôt et pourquoi je ne voulais pas m'établir ici de façon définitive. La femme examinait mes lexiques d'arabe avec ses grands ongles vernis de rouge et son ton devenait de plus en plus agressif. Pourquoi avais-je fait des séjours dans des pays arabes ? Qu'est-ce que je savais du conflit au Proche-Orient ?
- Vous parlez arabe ?
- Oui.
- Pourquoi ?
- Je l'ai appris à l'Université.
- Vous parlez hébreu ?
- Non.
- Vous avez un petit ami ?
- Oui. Non. En fait, non.
- Il est arabe, égyptien, palestinien ?
- Non.
- Il est quoi alors ?
- Mort.

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Le russe aime les bouleaux de Olga Grjasnowa - Éditions Les Escales - 314 pages
Traduit de l'allemand par Pierre Deshusses.