Car un démon préside à la destinée de Girolamo. Il en est sûr, et il nous l’expliquera à la fin, lorsqu’il sera confronté aux sévices de l’Inquisition. Mais ce sera tout à fait à la fin.

Pour l’instant nous sommes en 1501, et en 1501, l’Italie est la partie de l’Homme nous dit Régine Detambel. C’est fou ce qu’on peut y apprendre : l’art de l’athéisme, l’art de l’épicurisme, l’art du putanat, l’art du poison, l’art de la sodomie, et j’en passe. Tout un programme donc.

Il est plein d’humour, ce démon. Il a un nombre incalculables d’humains à suivre, il mène une activité frénétique et passe son temps en bondissements. Il a parmi ses protégés toutes sortes de personnages, dont la caractéristique commune est d’être daté du deuxième jour de Vénus en Balance.
Son regard sur notre humanité n’est pas tendre. Il la trouve manifestement conne et puissamment myope.
Notre démon n’aime pas la mère de Girolamo. Mais comme il est prévu qu’elle porte rapidement un cancer du foie, il n’intervient pas. Que fait-t-il pour Girolamo ? Premièrement alléger ses malheurs, ensuite intensifier ce peu de bonheur qui appartient naturellement à l’humaine nature. Bref, il porte un œil bienveillant sur l’enfance de Girolamo et s’occupe par exemple de lui éviter une noyade à l’âge de trois ans.

Il faut dire que nous sommes en plein XVIème siècle, qu’on va croiser Léonard de Vinci, et que le métier de médecin n’a pas forcément une bonne renommée : ce que l’on connaît du corps est ce qu’en décrit Ambroise Paré, le père de la chirurgie moderne.

Le père de Girolamo, Fazio, a – entre autres – de vraies connaissances en mathématiques et des compétences en astrologie. Il calcule l’horoscope de son fils et s’affole : selon les astres son fils aura une santé précaire et beaucoup d’ennuis. Mais il ne sait pas qu’un joyeux démon veille sur son rejeton…

Avec beaucoup d’humour, on apprendra que le démon donnera à Girolamo le don des langues comme celui des présages, qu’à l’âge de douze ans il peut lire Euclide et assimiler les forces en deux heures,  qu’en une nuit il apprendra le latin et en saura plus qu’un cardinal, et qu’il peut écrire en même temps de la dextre et de la sénestre en deux langues différentes.

Il faut dire que l’espérance de vie au XVIème siècle n’est que de vingt ans et des poussières. Donc Girolamo va aller vite, très vite, et son démon est sa muse. Il va s’éprendre d’un Archimage Cornelius Agrippa qui pratique la Cabale.

L’année de la bataille de Marignan, Girolamo a 14 ans. Il devient hypocondriaque. Malgré l’interdiction de son père il s’inscrit à la faculté de médecine de Padoue mais redoute toutes les dissections. A la mort de son père, il décrochera haut la main le titre de docteur en médecine et sera major de sa promotion. Et débutera une brillante carrière ascensionnelle de médecin, astrologue, savant, mathématicien et inventeur, avant la chute qui le conduira dans les filets de l’Inquisition.

D’un style profondément baroque, Régine Detambel réussit une biographie qui n’en est pas une. Avec de l’humour aussi, et de la verve pour décrire un siècle où une infinité d’hommes se sentent maintenant obligés de croire ce que la raison leur démontre, et leur nombre augmente de jour en jour. Tuer, guérir, découvrir, observer, classifier sont les grandes marottes nous dit l’auteure.
Mais ce démon nous restera définitivement bien sympathique.

Alice-Ange

Du même auteur : Noces de chêne, Opéra sérieux.

Extrait :

Dans ma petite enfance j’ai fait deux rêves qui ont décidé de ma vie. Ils étaient d’une clarté éblouissante, ils furent décisifs.
Dans le premier, je me vois à l’aube, au pied d’une montagne, des gens m’entourent, une foule immense d’hommes et de femmes de tous âges, nous courons tous ensemble, et soudain je leur demande où nous allons si vite, ils me répondent : A la mort.
Alors je m’arrête et je rebrousse chemin.
A ce moment le rêve a cessé. C’était évidemment un présage de l’immortalité de mon nom.
Dans le second rêve, j’entendais la voix de mon père qui me disais : Dieu t’a donné un gardien.
Je te demande seulement, lecteur, quand tu liras ceci, de ne pas me juger à l’aune de l’orgueil humain, car je te paraîtrais alors fou à lier, mais de comparer la grandeur du ciel avec ces étroites ténèbres où nous errons, dans la misère et l’inquiétude, et tu comprendras facilement que je ne t’ai rien raconté d’incroyable.

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La splendeur de Régine Detambel - Éditions Actes Sud - 192 pages