Depuis sa naissance, sa mère si belle et si fêtée par tous, n'a plus quitté sa chambre qui donne sur le fleuve. Son père, bel homme lui aussi, gynécologue réputé, rentre parler à une épouse qui ne lui répond jamais. Ce n'est plus qu'une ombre, épiée par la petite Rebecca, persuadée que sa laideur est la cause de l'éloignement d'une mère qui ne l'a jamais prise dans ses bras. Dans cette grande maison règne la tante Erminia, sœur jumelle de son père, d'une beauté éclatante et bonne pianiste. C'est Erminia qui promène la fillette et lui fait visiter la ville, mais toujours à la nuit tombée.

Nous empruntions la rue entre les deux fleuves, à peine éclairée et déserte. L'odeur des algues changeait avec les saisons : douceâtre en été, plus âpre en hiver. Puis nous montions à Monte Berico toujours au pas de course, courant à perdre haleine jusqu'à l'esplanade, tout en haut pour regarder la ville en contrebas.

C'est encore Erminia qui découvre que Rebecca a de belles mains et va l'initier au piano. Dès lors, la vie de Rebecca va changer, transformée par la musique, adoucie par la présence attentive de Maddalena, la gouvernante, éclairée par l'amitié de Lucilla, sa compagne de l'école primaire. Mais si ces premières années à l'école se passent relativement bien grâce à l'intelligence de Maitresse Albertina, celles passées au collège seront un vrai cauchemar pour l'adolescente qu'elle devenue, surnommée « le monstre poilu » par ses camarades. Sa mère est morte, engloutie dans les eaux du fleuve, son père et sa tante, de plus en plus absents, Lucilla a disparu. Seule la fidèle Maddalena reste à ses côtés, et elle a trouvé une raison de vivre dans les leçons de piano que lui donne le maestro De Lellis et les visites clandestines qu'elle rend à la mère de ce dernier. Grâce à la signora De Lellis, Rebecca va découvrir qui fut réellement sa mère, et des secrets de famille soigneusement gardés.

Le charme de ce roman intimiste, qui est aussi un conte cruel, vient d'abord des errances d'une héroïne attachante dans des intérieurs d'un autre âge et dans une ville qui offre un décor de toute beauté. Nous sommes à Vicence, où a ouvré Palladio. Mais c'est surtout un roman bouleversant sur la solitude et la différence, sur le regard porté par les autres quand on n'est pas dans la « norme ».

J'ai été vraiment touchée par l'histoire de cette enfant devenue adulte, qui découvre que grâce à la musique elle peut exister, avoir une place, mais « à côté », à condition de rester invisible.

Marimile

Extrait :

Naître laide, c'est comme naître avec une maladie chronique qui ne peut qu'empirer avec l'âge. A aucun moment de votre vie, l'avenir ne promet d'être meilleur que le présent, vous n'avez aucun joli souvenir dans lequel puiser un peu de réconfort, vous laisser aller à rêver ne revient qu'à vous faire un peu plus mal.
Une petite fille laide vit avec prudence, fait en sorte de ne pas causer plus de dérangement qu'elle n'en cause déjà par son apparence. Une petite fille laide ne fait pas de caprices, elle apprend vite à manger sans faire de miettes avec le pain, elle joue en silence en ne déplaçant que le nécessaire, elle range sa chambre avant qu'on le lui demande, elle ne se fait pas prendre deux fois à se ronger les ongles, elle n'use pas ses chaussettes et ses chaussures parce qu'elle se tient bien, elle ne hausse pas la voix, elle ne fait pas de bruit quand elle descend l'escalier, elle ne trouve pas à redire sur les vêtements qu'elle doit mettre.

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La vie à coté de Mariapia Veladiano - Éditions Stock - 213 pages
Traduit de l'italien par Catherine Pierre-Bon