Il discute avec monsieur Jourde de la théorie de la relativité, enchaine avec monsieur Peterson l’astronaute qui se prépare à aller sur Mars, console la vieille madame de Vigne qui l’accueille en nuisette, bavarde avec son ami Jean qui cultive une nouvelle variété de tomates.
Avant de partir, il a procédé au tri en compagnie de ses collègues rigolards jamais lassés de leurs plaisanteries éculées, (Casaucau/Kesako, Reine/Claude, Manuel/faquitaine…).

Bref, rien que de très normal dans cet univers à la Tati de Jour de fête, sauf qu’il commence à se fissurer, que les choses et les gens prennent un autre aspect, et ne sont plus ce qu’ils avaient l’air d’être.
À commencer par ce facteur érudit qui fait allusion à Pomone ou au festin de Tyeste, et passe de Durer à Rockwell et à Diane Arbus tout en se promenant avec un coupe-chou dans la poche. Or justement, la vieille madame de Vigne avec laquelle il avait bavardé la veille est retrouvée morte, la gorge tranchée…. depuis, la mort semble le suivre partout où il passe. On n’est plus chez Tati, mais plutôt chez Buñuel : que fait ce taureau dans le salon de madame Deruelle ? Est-ce dû à l’état d’ébriété du facteur ? L’explication serait par trop rationnelle. Désormais, celui-ci a beau sonner, il trouve porte close, et tout lui devient hostile. Devient-il fou ? Ou alors ce sont les autres ?

Ce court roman, tour à tour drôle et glaçant entraîne le lecteur vers des vertiges mathématiques (le nombre phi) et métaphysiques dans lesquels il peut se perdre. Ce fut mon cas. Reste le style, incisif, caustique, un régal. À conseiller aux amateurs d’insolite et de bizarre.

Marimile

Extrait :

À l’intérieur, c’est vertigineux. Partout sur les murs, sur les meubles, il y a des centaines de petits visages blonds identiques, chacun dans son cadre, démultipliés à l’infini. Madame Pertuis s’assoit sur le canapé du salon, la bouteille de vin blanc doux devant elle, et me montre le fauteuil. Je m’assieds à mon tour. Elle verse. Elle est là, silencieuse et triste, vautrée dans son canapé comme une odalisque éléphante, cernée par la reproduction monstrueuse de sa progéniture. J’entends un bruit à la fenêtre. Les douze ont collé leurs minois à la vitre pour nous observer et frottent le verre pour effacer la buée que forment leurs haleines réunies.

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Le facteur phi de Franck Manuel - Éditions Anacharsis - 128 pages