La thèse de la Boétie est que la liberté, état naturel de l'homme, a disparu au profit de la servitude. Quel que soit l'homme qui dirige (prince bon et éclairé ou tyran sanguinaire), le peuple s'est habitué à être dominé, sous le joug d'un seul homme. Cette soumission, La Boétie n'arrive à expliquer le moment historique où elle est apparue.

Le tyran, même s'il n'est pas à l'origine de la servitude du peuple, arrive à utiliser divers artifices pour le maintenir sous sa coupe. La Boétie dénonce les loisirs, les divertissements ou la religion, mis en place par le tyran et financés par les sujets. Il pointe également du doigt la cupidité des hommes, prêt à accepter des choses impensables dans l'espoir d'obtenir des récompenses et des gratifications.

Mais l'élément décisif pour est l'habitude : l'homme n'arrive pas à se révolter car il est habitué à être asservi, et n'a pas vraiment envie de quitter cet état. Car même si certains se rendent compte de la situation, la majorité refuse d'agir. Cela devient d'autant plus difficile que le tyran n'est pas seul : il a autour de lui cinq ou six fidèles, qui ont eu aussi de nombreuses personnes sous leurs ordres. De fait, le nombre de personnes intéressées par ce statu quo est important, et limite toute forme d'action.

La lecture du texte de La Boétie est très intéressante. Après avoir dépassé la difficulté de la langue (quelques formules anciennes, quelques termes oubliés), le texte est d'une grande acuité et clairvoyance. Servi par de nombreux exemples issus de l'Antiquité, La Boétie rend son essai vivant, avec de nombreux exemples plus ou moins connus de comportements d'asservissement. Le lien avec les textes des Lumières (on pense à Rousseau et son état de nature, à Montesquieu) ou avec des ouvrages plus récents (comme celui de Stéphane Hessel, pour le plus récent) est frappant et démontre que cet essai, reconnu à l'époque par Montaigne, grand ami de l'auteur, mérite encore toute notre attention. L'introduction du texte par Miguel Benasayag (lue après l'essai comme toujours) pointe l'aspect très contemporain et moderne du texte (il fait le lien avec les dictatures sud-américaines des années 70-80) et est un éclairage complémentaire à ce texte.

Yohan

Extrait :

Celui qui vous maîtrise tant n'a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'un corps, et n'a autre chose que ce qu'a le moindre homme du grand et infini nombre de nos villes, sinon que l'avantage que vous lui faites pour vous détruire. D'où a-t-il pris tant d'yeux, dont il vous épie, si vous ne le lui baillez ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, d'où les a-t-il, s'ils ne sont des vôtres ? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous, que par vous ?

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Discours de la servitude volontaire d'Etienne de la Boétie - Éditions Le passager clandestin - 91 pages