Quand Clay Jannon, jeune informaticien de talent en recherche d'emploi, est embauché dans la librairie de M. Pénombre, c'est le début d'une aventure complètement surréaliste.
D'abord, la librairie est pour le moins insolite. Le fond de roulement est minime, pas de stock, mais en revanche l'arrière boutique cache des rayonnages montant à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, tous rempli d'ouvrages reliés. La première tâche du jeune libraire est donc d'apprendre à grimper rapidement à l'échelle pour récupérer ces ouvrages particuliers qu'il a l'interdiction absolue d'ouvrir.

Ensuite, Clay assurant l'horaire de nuit, il voit défiler un cortège de personnages tous plus étranges les uns que les autres. Ils empruntent tour à tour les ouvrages de l'arrière salle, interdite au reste du public.
Petit à petit, un schéma semble se dégager. Et Clay, en bon geek, flaire le mystère et s'attache à résoudre ce qu'il perçoit comme un gigantesque jeu.
Il n'aura pas trop de ses amis et de sa copine pour le seconder dans cette affaire qui promet de révéler beaucoup de surprises.

Robin Sloan signe son premier roman après avoir, nous dit-on, été notamment directeur des relations médias chez Twitter. Ceci pour dire que l'homme connaît son sujet quant aux nouvelles technologies. Il a quasiment baigné dedans. Et lorsqu'il se met à écrire, naturellement il se dirige vers un roman d'aventure, mêlant allègrement le savoir, les livres anciens et les nouvelles technologies.
Un ouvrage qui parle des livres, des librairies, et de mystère. Voilà qui a de quoi ravir son lecteur et attirer le chaland... Impossible donc de passer à côté !

Le roman est parsemé de références, de clins d’œil à la culture geek, à l'informatique, mais aussi à la culture du livre de manière plus générale, notamment l'histoire de l'imprimerie. Avec des éléments précis, des personnages attachants et un certain sens du mystère, il balade son lecteur entre la librairie de M. Pénombre (personnage énigmatique s'il en est, mais Ô combien attachant), le campus de Google, les locaux d'une société occulte d'érudits bibliophiles relativement barrés... Pour affronter tout ça, Clay s'entoure de Kat, sa copine ingénieure chez Google, de Neel, son meilleur ami et jeune chef d'entreprise ambitieux, et de Mat, son coloc expert en effets spéciaux.

Au milieu de ce joyeux fourmillement, des éléments bien réels donnent au roman un cadre totalement crédible et réaliste. Entre autre, la visite du campus de Google, qui sent son petit côté publicitaire (mais bon, peut-on vraiment y échapper ? ), et surtout, cœur de l'intrigue du roman, la vie de l'imprimeur et libraire vénitien Aldo Manuce à qui on doit les premiers incunables après Gutenberg. Ces éléments ajoutés aux références constantes à des ouvrages ou des personnes connus font du roman un délice pour le lecteur curieux.

Le bémol qu'il est possible d'émettre serait que l'auteur a introduit nombre d'éléments fictifs dans ce monde réaliste, qui fait que malgré tout il est difficile d'y croire pleinement. Le roman de Moffat, par exemple, n'a jamais existé, non plus que Griffo Gerritszoon. Mais l'ensemble est tellement jubilatoire que ce sont points de détails.

En réalité, il est presque impossible de lâcher le roman si on a accroché. L'ouvrage se dévore sans retenue et c'est souvent avec le sourire aux lèvres ou un petit rire qu'on tourne la page pour s'enfoncer plus avant dans le mystère qui entoure cette librairie fantasmée.

Au final, c'est une excellente histoire qui nous est servie, avec tous les éléments pour passer un très bon moment et certainement découvrir quelques choses de notre époque (je ne connaissais pas le langage Ruby) ou d'un savoir plus ancien (saviez-vous qu'on nomme "poinçon" les caractères métalliques utilisés en imprimerie ? ). De la très belle ouvrage, assurément.

Cœur de chene

Extrait :

- Parlez-moi, reprit Pénombre, d'un livre qui vous est cher.
Ma réponse était toute trouvée. Je n'hésitai pas une seconde :
- Monsieur Pénombre, ce n'est pas un seul livre, mais une série. Ce n'est sans doute pas de la grande littérature, c'est probablement trop long et la fin est ratée, mais je l'ai lue trois fois, et j'ai rencontré mon meilleur ami grâce à elle, parce qu'on était fous tous les deux quand on était en sixième.
Une respiration, puis :
- J'adore Les Chroniques du chant du dragon !
Pénombre leva un sourcil, puis sourit.
- C'est bien, très bien, fit-il, et son sourire s'agrandit en découvrant un désordre de dents blanches.
Les yeux plissés, il me toisa alors de la tête aux pieds.
- Mais savez-vous monter sur une échelle ?
Et voilà pourquoi je me retrouve sur cette échelle, au troisième étage - le plancher en moins - de la "Librairie ouverte jour et nuit" de M. Pénombre. Le livre qu'il m'a envoyé quérir s'intitule AL-ASMARI et se trouve sur ma gauche, à une distance égale à environ une fois et demie la longueur de mon bras. De toute évidence, je vais devoir redescendre pour déplacer l'échelle. Mais, d'en bas, Pénombre me lance :
- Penchez-vous, mon garçon ! Penchez-vous !
Faut-il que j'en aie besoin, de ce travail...

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M. Pénombre Libraire ouvert jour et nuit - Robin Sloan - Éditions Michel Lafon - 384 pages
Traduit de l'anglais par Philippe Mothe