Le soir même, toute la famille, ses parents, sa sœur Milucha et lui-même, vont prendre l'avion pour la métropole où il n'a jamais mis les pieds. La plupart de leurs voisins et amis sont déjà partis, et les « Nègres » occupent leurs maisons. Pour tout bagage, une valise pour chacun des membres de la famille. Rui a décidé d'emporter le poster de Brigitte Bardot et celui de Riquita « avec l'autographe. » Mais ce dimanche - leur dernier en Angola -, prend encore une autre tournure lorsque le père, soupçonné d'être « le boucher de Grafanil » est emmené de force par des soldats hilares de l'armée de libération, sous les yeux de Rui, terrifié.

A Lisbonne, la famille, sans le père, est logée dans un hôtel cinq étoiles réquisitionné pour la circonstance ainsi que beaucoup d'autres, pour accueillir les rapatriés, très nombreux et dont la plupart ont tout perdu. Du jour au lendemain, Rui, adolescent jusque-là insouciant et préoccupé par les filles et les virées avec les copains, se retrouve chef de famille, protecteur d'une mère aux nerfs plus que fragiles et d'une sœur aussi désemparée que lui. Il leur a caché ce qui était arrivé à son père et porte seul l'angoisse de ne pas le voir revenir. Il découvre aussi un pays nouveau, « la métropole », qui s'avère bien décevant et étriqué : La métropole peut pas être comme on l'a vue aujourd'hui sur le trajet en taxi, personne nous aurait obligé à chanter l'hymne le samedi matin si la métropole était aussi étriquée et sale, avec des rues si étroites qu'on a l'impression de pas pouvoir passer.
Séparé de ses deux meilleurs amis, l'un parti au Brésil, l'autre en Afrique du Sud, Rui va essayer de se construire une nouvelle vie, même éphémère, avec de nouveaux copains, de nouvelles rencontres, une nouvelle école. Lui et sa famille vont rester plus d'un an dans cet hôtel où les conditions de vie se dégradent très vite, où les rapatriés entassés dans une promiscuité de plus en plus pénible essaient de survivre, partagés entre la nostalgie d'un passé qu'ils savent révolu et qu'ils enjolivent, et une profonde amertume de se sentir rejetés par l'histoire et ceux d'ici.

A travers Rui, Dulce Maria Cardoso ne se fait pas faute d'épingler leurs préjugés, leur racisme envers les Noirs, sans pourtant absoudre les Portugais de la métropole, en pleine « Révolution des œillets » et qui ne savent que faire de ces réfugiés encombrants.

Le retour est le récit sensible et souvent percutant d'une adolescence bousculée entre deux mondes, le paradis perdu et la progressive adaptation à une autre vie possible parmi les familles d'ici. La grande réussite de la romancière portugaise, est qu'elle se met littéralement dans la peau du jeune narrateur, adoptant son langage peu académique et ses réflexions à l'emporte-pièce, qui tour à tour émeuvent, font rire ou surprennent par leur acuité. Témoin de tout ce qui se passe autour de lui, Rui fait part de ses observations et des questions qu'elles entraînent :  peut être que c'est pas la métropole qui change les gens et que les gens changent où qu'ils soient, peut-être que ce qui a l'air d'être un changement n'en est pas un.

Le retour est le roman de la perte, la perte d'un pays aimé, la perte des illusions. Mais ce roman de l'exil est aussi un récit initiatique, celui d'une prise de conscience, du lent mûrissement vers l'âge adulte. Dulce Maria Cardoso a vécu dans sa chair ce retour vers la métropole en 75 et cela se sent.
C'est un livre d'une grande force et que je recommande vivement !

Marimile

Extrait :

On a descendu les marches de la passerelle et ma sœur a dit, on est en métropole. On savait pas ce qu'on devait faire. C'était étrange de fouler le sol de la métropole, c'était comme si on était en train de pénétrer dans la carte qui était accrochée dans notre classe. Par endroits la carte était déchirée et on voyait un tissu sombre ou sale derrière, un tissu rigide qui maintenait la carte tendue. On savait pas ce qu'on devait faire et c'était comme si on était en train de pénétrer dans la carte déchirée, ou alors dans les photos des magazines, dans les histoires que ma mère racontait toujours, les hymnes qu'on entonnait le samedi matin dans la cour du collège. Ça nous semblait impossible d'être arrivés en métropole encore plus après ce qui s'était passé, encore plus sans mon père. J'avais jamais pensé qu'on puisse se retrouver en métropole sans mon père. Sans lui on savait pas quoi faire mais pour les autres familles c'était pareil, et maintenant, et maintenant, ils demandaient.

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Le retour de Dulce Maria Cardoso - Éditions Stock - 320 pages
Traduit du portugais par Dominique Nédellec