L'histoire est celle d'Yvonne Schmitt et de Simone Marchand. La première a été retrouvée assassinée dans un appartement de Marseille, alors que la seconde, qui partageait le même logement a échappé à ses assaillants en s'agrippant à la fenêtre. De ce fait divers macabre, dans le milieu de la prostitution et du proxénétisme marseillais, Sylvain Pattieu se sert de cadre pour décrire la société de cette époque et les conséquences de la Grande Guerre.

L'action démarre à Paris, avant guerre. On y découvre la vie des deux femmes. Elles travaillent d'abord dans les usines, essaient de vivre convenablement. Puis ce sont les hommes qui les feront vivre, ceux qu'elles rencontrent, ceux qui les font travailler et qui les protègent. En parallèle, on suit le parcours d'Yves Couliou, ouvrier dans une usine d'allumettes dans la banlieue nord. Proche des militants syndicaux, il se détourne peu à peu de son engagement pour lui aussi gagner de l'argent grâce aux femmes. Cette plongée dans le Paris des années 1900 - 1910 est passionnante, car l'auteur parvient à rendre la vie de cette époque. La comparaison avec Zola, qui décrit Paris 40 ans plus tôt, m'est immédiatement venue à l'esprit.

Puis c'est la guerre. Yvonne part à Marseille, rencontre Fredval qui a déjà pour compagne Simone, et les deux femmes vont s'installer ensemble. Auparavant, Yvonne est passée par de nombreux endroits peu recommandables, là où sont la majorité des filles. C'est une vie faite de soirées dans des endroits à la mode, où les filles vont danser pour faire des rencontres. Une rivalité s'installe entre les deux locataires, toutes deux amoureuses de Fredval. Puis c'est le drame. Un soir, elles sont avec deux clients. L'un tue Yvonne, l'autre tente de tuer Simone. De là démarre l'enquête policière : Fredval se sauve, les soupçons se portent sur lui, sur les marins de passage, sur le milieu des proxénètes...

En donnant la parole à de nombreux protagonistes (prostituées, proxénètes, clients, commissaire de police,...) Sylvain Pattieu arrive à donner un rythme à son roman, tout en lui conservant une unité. On se laisse prendre à la recherche de ce meurtrier, aidé par la reproduction des archives de l'époque (photos de la scène de crime, portrait des assassins, cartes postales,...). Le roman est une très belle réussite, qui en plus du fond est servi par une écriture et une recherche tout à fait remarquable. Chaque personnage a un point de vue (Simone Marchand s'exprime à la première personne, avec un vocabulaire et une syntaxe parfois approximative) et cela lui donne encore plus de chair. Une très belle découverte !

Du même auteur : Des impatientes

Yohan

Extrait :

  Ces coups partagés avec Yvonne, elle plus que vous, comme vous avez failli partager la mort, comme vous avez partagé les mains autour de votre cou, autour du sien, son cou qui se brise, le vôtre qui résiste. Avec Fred, vous auriez pu oublier Yvonne, oublier ce qui s'est passé. Vous vouliez être avec Fred, à deux, seuls contre tous, mais c'est sans lui qu'il faut se battre, affronter le juge, le commissaire, les gens, car on vous toise, on vous juge dans la rue, vous les sentez, tous ces regards, toutes ces questions, toute cette haine et vous êtes dure, vous êtes forte mais ça vous effraie.

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Le bonheur pauvre rengaine de Sylvain Pattieu - Éditions du Rouergue - La brune - 290 pages