C'est cette histoire-là qu'il raconte, celle d'un homme enthousiaste et idéaliste qui rêvait de faire partager au plus grand nombre sa passion pour la lecture, en créant une librairie qui portait le nom évocateur de « Voix au chapitre ». Le récit de ces dix-huit ans de sa vie de libraire prend la forme de réflexions à bâtons rompus, de brèves de comptoir subtilement agencées malgré leur désordre apparent, depuis les motivations de départ jusqu'à la faillite. Nombreuses sont les raisons qui l'ont poussé à ouvrir une librairie en dépit de mises en garde d'amis-qui-vous veulent-du bien, mais je ne citerai que celle-ci : C'est la faute à ma maman. Si je n'avais pas trouvé dans sa vaste bibliothèque Le comte de Monte-Cristo, en gros volume illustré, tanné par les lectures, je n'en serais peut-être pas là.

Pour faire de sa librairie un lieu de vie, Gérard Lambert-Ullmann ne se contente pas de gérer son fond et de vendre des livres : il conseille, essaie de faire connaître d'autres écrivains que ceux que l'on voit partout dans les médias, organise des lectures, des rencontres, fait venir des groupes musicaux, bref, se démène. Des joies ? La visite d'une cliente qui lui annonce J'ai 102 ans. Je vais bientôt mourir. Mais j'ai une fringale de lecture. Je n'arrête pas ! . De quoi éclairer votre journée et les suivantes ! Mais il est des semaines plus grises, des semaines sans voir personne, des semaines où il faut se battre avec l'administration, les comptes en perpétuel déséquilibre, l'impolitesse ou le sans-gêne des clients, ceux qui notent la référence pour commander ailleurs. Ils font pareil avec le pâté chez le charcutier ?

Au fil de cette chronique pleine d'humour mais aussi de colère parfois, se dessine l'image d'un homme passionné de son métier, généreux, humaniste et bon vivant, qui a su créer des liens avec les habitants d'une ville qu'il ne connaissait pas au départ : l'amitié que nombre d'entre eux lui témoignent lorsqu'il s'en va en est la preuve.

Dernier chapitre est un bon moment de lecture, que l'on veuille ou non se lancer à son tour dans cette aventure périlleuse d'ouvrir et de conserver une librairie.

Marimile

Extrait :

Elles entrent en se houspillant, bon, alors, vas-y. Regarde. Je demande si je peux les aider. Elles cherchent un livre. Je les assure qu'elles ne sont pas trop mal tombées. Pour lire précisent-elles. Je me retiens de dire que j'ai rarement vu utiliser les œuvres d'Artaud pour emballer les épluchures et que, pour se torcher, le Pléiade d'Apollinaire risque d'être un peu raide. Mais je m'efforce toujours de ne pas me laisser aller à ce réflexe élitiste. Je connais trop de libraires pédants qui méprisent ostensiblement les maigres lecteurs. Je ne veux pas leur ressembler. D'ailleurs j'ai précisé sur le texte de présentation de la librairie : « Voix au chapitre » n'est pas et ne veut pas être un repère d'intellos regardant de haut ceux qui ne sont pas familiers de leur culture byzantine. « Voix au chapitre » veut être un lieu où l'on souhaite qu'il fasse bon vivre avec des livres. Je consacre donc un long moment à essayer de les conseiller. Pas de politique et de trucs difficiles, précise celle qui cherche le plus tandis que l'autre commence à s'impatienter. Je propose des romans en poche, mais ils sont trop gros. Elles sont sur le point de partir quand j'ai une illumination : Brèves de comptoir. Ça marche. Je suis vraiment un bon libraire !

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Dernier chapitre de Gérard Lambert-Ullman - Éditions Joca Seria - 103 pages