Une séparation entraîne quelques changements d'ordre pratique : l'ex-mari emporte le matelas et le sommier parce qu'il a mal au dos, mais lui demande de porter son manteau à nettoyer, et puis, ah, encore une chose, ça ne t'embêterait pas de faire une machine avec ce qui reste de moi dans la corbeille à linge sale ? De grandes décisions s'imposent : la jeune femme va partir au loin, prendre des vacances d'été bien qu'on soit en novembre. Traductrice, elle peut emporter son travail avec elle et n'a de compte à rendre à personne. Mais le destin en décide autrement : elle apprend qu'elle vient de gagner un bungalow d'été à la loterie des sourds, livré à l'endroit désigné par elle sur l'île, plus une somme conséquente à une autre loterie. De plus, sa meilleure amie, mère célibataire d'un petit garçon de quatre ans, malentendant et malvoyant, fortement enceinte de jumeaux, a un accident et lui demande de s'occuper du petit Tumi. La narratrice, qui s'est toujours refusée à avoir des enfants, (on comprendra pourquoi plus tard), et a toujours déclaré ne pas savoir s'en occuper, va donc emmener Tumi en vacances d'été dans l'est de l'Islande où elle a fait installer le bungalow.

Commence alors ce qui à mon avis est la meilleure partie du livre, une road-movie improbable sur la nationale 1 qui fait le tour de l'île, dans l'obscurité d'une fin d'automne islandais et sous une pluie qui tombe sans discontinuer. Les deux voyageurs, la jeune femme et le petit garçon handicapé s'apprivoisent mutuellement. Elle qui parle onze langues dont plusieurs slaves, en apprend une douzième, celle des signes, pour pouvoir communiquer avec l'enfant qui va prendre une place essentielle dans sa vie. Tout road-movie entraîne rencontres et incidents souvent cocasses, et le roman ne fait pas exception à la règle, car ce couple bizarre ne passe pas inaperçu des quelques (rares) autochtones, humains ou animaux, découverts ça et là. Les paysages sont entrevus dans ce qu'en laissent voir les phares de la voiture : la mer, noire, le sable, noir, les rochers, noirs eux aussi. En même temps qu'elle va vers l'est, la narratrice va à la rencontre d'un passé qu'elle avait bien enfoui dans sa mémoire, et qui apparaît par intermittence dans le récit.

Les rapports entre la jeune femme et l'enfant intelligent mais en manque de père et handicapé par une vue et une audition défectueuses, sont finement perçus, et on est touché par la confiance qui s'installe entre ces deux êtres blessés et l'amour qu'ils se portent mutuellement. L'auteure se garde de toute analyse de type psychologique, elle décrit simplement des faits et des comportements. C'est souvent drôle, léger, mais les douleurs non étalées sont bien présentes. Les personnages féminins ont du courage et de l'abattage, les hommes beaucoup moins.

En lisant cette Embellie, je n'ai pas retrouvé l'enchantement que j'avais éprouvé à la lecture de Rosa Candida, mais au final, c'est une lecture très agréable et distrayante, et on s'attache vraiment à la narratrice et au petit Tumi.
En prime, si on s'intéresse à la cuisine, l'auteure nous livre les recettes qui apparaissent dans son roman, dont celle du Blanc de baleine aigre que je laisse aux amateurs !

Marimile

Du même auteur : Rosa Candida, L'exception

Extrait :

De plus, le monde regorge d'enfants, les automobiles sur les routes du pays en sont remplies, j'en sais quelque chose. Dans chaque station-service, de jeunes parents laissent échapper trois ou quatre enfants d'âge préscolaire ; il faut leur donner des hot-dogs et des glaces, après quoi on les entasse à nouveau dans les voitures, barbouillés de chocolat jusqu'aux oreilles et embaumant la moutarde. Les parents sont fatigués, ils ne se parlent pas, ils ne se retrouvent pas, ils ne voient ni l'épilobe arctique ni le glacier à cause des gosses qui sont malades à bord. Dans le maquis du terrain de camping, ils disparaissent à tout bout de champ et il n'y a pas moyen de feuilleter tranquillement son dictionnaire des synonymes devant sa tente parce qu'on est tout le temps sur le qui-vive, à ce que j'imagine. Certains de nos amis n'ont pas dormi une nuit entière depuis des années, ne font pas l'amour sinon à la va-vite une fois de temps en temps. Et quand l'un vient chercher l'autre en voiture au travail, ils ne s'embrassent plus, et se détournent pour regarder par la vitre. Ça je l'ai vu. Il n'y a que très peu de couples qui résistent au fait d'avoir des enfants.

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L'embellie de Audur Ava Olafsdottir - Éditions Zulma - 395 pages
Traduit de l'islandais par Catherine Eyjolfsson