Il faut dire que la vie de Rey n'a pas démarré sous les meilleurs auspices. A treize ans, alors qu'il est sur le toit de son appartement, il assiste en même temps à la mort de sa mère, de son frère et de sa grand-mère. Cette scène très forte, qui marque d'entrée le lecteur, est le point de départ de la fuite de Rey. Au fil des rencontres et de ses envies, il va vivre de nombreuses histoires, parfois belles, souvent glauques, mais toutes le ramènent toujours à la misère endémique de Cuba de la fin des années 1990.

Au fil de ses arnaques et ses tribulations, il fera des rencontres décisives. La plus importante est certainement celle de Magda, une vendeuse de cacahuètes. Ils vivront à plusieurs reprises ensemble, dans l'appartement sale de la jeune fille. Après des nuits d'amour, dont ils sortent tout deux épuisés, elle s'absente souvent, notamment pour gagner de l'argent auprès de vieux étrangers. Ces absences, fréquentes, répétées et imprévues, irritent au plus au point Rey. Alors, il quitte l'appartement.

Il trouvera refuge chez Sandra, une travestie qui habite sur le même palier. Il essaiera également d'aller gagner sa vie à l'est de la Havane, à Varadero. Mais la station balnéaire, réservée aux touristes, n'est pas du goût du jeune homme. Ce qu'il aime, c'est la Havane, sa ville. Il aime se promener sur le Malecon et au parc Maceo, à côté des rues où il a grandi. Pas loin, la vieille Havane, endroit touristique, est un milieu qu'il ne connaît que de loin. Lui, ce qu'il aime, c'est la promiscuité, la chaleur, les odeurs fortes et le sexe.

Pour ce qui est du sexe, d'ailleurs, c'est le roi. Un passage en prison lui a permis de se faire implanter deux petites boules au bout de son pénis. Ces deux petites boules sont son orgueil, et il est persuadé que cet implant est la raison pour laquelle les femmes sont folles de lui. Il n'aime rien tant que faire l'amour, partout, tout le temps, avec n'importe quelle femme qu'il croise.

Le roman de Juan Pedro Gutiérrez est une plongée dans une ville que le touriste qui va aujourd'hui à la Havane ne verra pas, ou de très loin. On est plongé dans la vie quotidienne de ces cubains qui doivent affronter la misère, qui essaient de s'en sortir par tous les moyens possible. Avec une écriture acérée et très directe, l'auteur ne prend pas de gants et ne ménage pas son lecteur. Mais comment le protéger quand on décrit une vie aussi misérable et pitoyable ? C'est un auteur que je découvre et dont j'ai très envie de lire les autres ouvrages, car il offre une autre vision de Cuba.

Yohan

Extrait :

Après avoir remonté Belascoain, ils ont pris Reina, Factoria et sont arrivés dans le quartier Jesus Maria. Magda lui a montré un immeuble pratiquement en ruine : "Viens par là". Entrés dans cette désolation, ils se sont engagés dans l'escalier, dont la rampe avait disparu. Une belle maison, jadis. On voyait encore des azulejos de Séville, de grandes plaques de marbre aux murs, des tronçons d'élégante balustrade en fer forgé mais la moitié du bâtiment s'était effondrée. Dans ce qui tenait encore debout, il y avait trois chambres, chacune avec une porte et un cadenas. Magda avait la sienne, avec seulement un matelas étendu sur le sol et, dans un coin, une casserole, un broc, une cuillère, une boîte de conserve remplie d'eau, un brasero à charbon et trois caisses en carton. L'une d'elles était pleine de vieux habits fripés, une autre abritait des sachets de riz, de haricots et de sucre, et la troisième contenait des cacahuètes et des feuilles de papier blanc pour ses cornets.
Magda vivait de rhum et de cigarettes. Parfois un joint. Elle mangeait peu. Ils ne se sont guère parlé. Presque rien, ou même rien. Elle a fermé la porte, ouvert une petite fenêtre pour aérer un peu la pièce. Ils se sont regardés et se sont embrassés. Les mots étaient de trop.

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Le roi de la Havane de Pedro Juan Gutiérrez - Éditions 10/18 - 272 pages
Traduit de l'espagnol (Cuba) par Bernard Cohen