Les 35 « histoires marginales » qui composent ces Roses d'Atacama sont de courts récits dans lesquels l'auteur rend hommage aux héros oubliés qu'il a pu côtoyer au cours de sa vie mouvementée, victimes des Nazis, de Pinochet, des Soviétiques lors de l'invasion des chars russes à Prague en 68, ou des ravages du néo-libéralisme.
Deux de ces récits se distinguent des autres. Dans Sur les traces de Fitzcarraldo, Sepulveda ne mentionne l'aventurier rendu célèbre par le film de Werner Herzog que pour mieux le condamner. Si je devais écrire une biographie de Fitzcarraldo, je commencerais par dire qu'il fut un triste individu auquel les arbres ne laissèrent pas voir la forêt de Manu.
Ce qui l'intéresse en fait, c'est de célébrer les merveilles de la forêt de Manu demeurée cachée des Conquistadors, brièvement foulée par Ftzcarraldo et déclarée Patrimoine de l'humanité par l'Unesco en 1987. Chuchu et le souvenir de Balboa évoque la figure un peu oubliée du Conquistador et découvreur du Pacifique, Vasco Nunez de Balboa, le seul Espagnol qui a laissé un bon souvenir
dont les Indiens cuna et choco disent encore du bien aujourd'hui.
Les préoccupations humanistes de Luis Sepulveda, son sens de la fraternité avec les héros oubliés du monde, sont patents dans certains récits comme Cavatori, bel hommage rendu aux travailleurs des carrières de marbre à Pietrasanta en Italie, qui meurent jeunes, victimes de chutes ou minés par la phtisie du marbre.
La défense des peuples spoliés par l'Etat ou les grandes sociétés, celle de la nature sont au cœur de l’œuvre d'un homme engagé qui a connu les prisons de Pinochet et fait partie de Greenpeace.
Ces préoccupations sont réunies dans ce qui est à mon avis le récit le plus emblématique du livre et peut-être le plus beau dans sa brièveté, ces roses d'Atacama qui sont aussi le titre du recueil. Fredy Taberna, ami de l'écrivain, lui a fait découvrir le désert d'Atacama au nord du Chili, rendu encore plus désertique par l'abandon des mines du salpêtre. Une nuit, fatigués, tous deux dorment à la belle étoile, et au petit matin découvrent que le désert était rouge d'un rouge vif couvert de minuscules fleurs couleur de sang. Les roses du désert, les roses d'Atacama.
En septembre 1973, trois jours après le coup d'Etat, Fredy est arrêté, torturé, abattu.
Du nord au sud de l'Amérique, du sud au nord de l'Europe, en Afrique, à Madagascar, l'infatigable voyageur qu'est Luis Sepulveda n'a de cesse de rendre compte à la fois de la beauté du monde, de sa fragilité, et des efforts de femmes et d'hommes courageux pour en sauvegarder l'intégrité.
Un livre émouvant, sobre et précis, qui fait voyager, réfléchir, méditer.
Marimile
Du même auteur : Histoires d'ici et d'ailleurs, La lampe d'Aladino et autres histoires pour vaincre l'oubli, Le monde du bout du monde, Le vieux qui lisait des romans d'amour, Journal d'un tueur sentimental, Dernières nouvelles du Sud
Extrait :
Au crépuscule nous nous arrêtâmes dans un cimetière aux tombes ornées de fleurs en papier desséchées et je crus que c'étaient les célèbres roses d'Atacama. Sur les croix étaient gravés des noms espagnols, aymaras, polonais, italiens, russes anglais, chinois, serbes croates, basques, asturiens, juifs, unis par la solitude de la mort et le froid qui s'abat sur le désert dès que le soleil s'enfonce dans le Pacifique. Tout près du cimetière nous étendîmes nos sacs de couchage et nous nous mîmes à fumer et à écouter le silence, le murmure tellurique de millions de pierres qui, réchauffées par le soleil, éclatent imperceptiblement sous la violence du changement de température. Je me rappelle que je m'endormis fatigué d'observer les milliers d'étoiles qui illuminaient la nuit du désert, et qu'à l'aube du 31 mars mon ami me secoua pour me réveiller.
Les roses d'Atacama de Luis Sepulveda - Éditions Métailié - 165 pages
Traduit de l'espagnol (Chili) par François Gaudry
Commentaires
mardi 3 juin 2014 à 10h51
J'aime beaucoup Luis Sepulveda. Je vais aimer, jen suis sure, ces Roses d'Atacama.
mardi 3 juin 2014 à 10h51
J'aime beaucoup Luis Sepulveda. Je vais aimer, jen suis sure, ces Roses d'Atacama.
mardi 3 juin 2014 à 19h14
C'est sûr, Rose,que tu vas aimer ces Roses d'Atacama!