John Summerbee a choisi de s’installer en Qarabie. Enfin, presque. Il trouve toutefois un intérêt certain à la vie du pays, une fois passée l’acclimatation à la chaleur. Professeur d’art, il enseigne à l’université. Il essaye d’ouvrir les yeux de ses élèves, mais il sait bien que la contrainte religieuse est très forte. Sa place ne tient pas à grand-chose, et il en est bien conscient.

Linda, sa collègue et voisine, américaine elle aussi, essaie de prendre soin de lui. Mais John est méfiant et fait tout pour rester à l’écart de cette commère. Il le fait avec d’autant moins de déplaisir qu’elle n’est pas ce qu’on pourrait appeler un canon de beauté. A l’occasion de la coupe du monde de hole-ball, le ministère du tourisme lui demande de mener un projet artistique avec sa classe. Il fait la rencontre de Qatarina, la sœur aînée d’un de ses élèves. Mais la morale religieuse et la peur pour son poste font qu’il est très prudent. Pourtant, ce ne sera pas suffisant pour échapper aux suspicions de l’appareil d’Etat.

Derrière cette trame de roman d’action et d’amour, Gabriel Malika signe un roman à plusieurs niveaux. D’abord, il y a la description du monde étudiant qarabien qui est l’occasion de décrire l’emprise de l’extrémisme religieux dans l’art. Si John manque de perdre son poste, c’est à cause d’une élève qui n’accepte pas l’approche trop libérale du professeur. Morale religieuse qui touche également l’histoire entre John et Qatarina, chacun essayant de se protéger au maximum.

Mais cet ouvrage, sous ses allures de roman, a un fort aspect documentaire. Par l’introduction de deux journalistes, Guillaume et Jérémy, le lecteur découvre les dessous de ce monde opulent : la vie des ouvriers immigrés, payés une misère et qui sont eux aussi cachés. Leur seule satisfaction, c’est le bab el zib, une machine construite pour assouvir les penchants sexuels de tous ces hommes. Gabriel Malika souligne également la difficulté pour un pouvoir réformiste (incarné ici par la Grande Dame, une femme respectée de tous et très ouverte) de s’imposer face aux conservatismes.

Reste enfin la partie imaginaire, avec la création d’un pays (la Qarabie) et d’un sport (le hole-ball). On y découvre son origine (un soldat anglais qui a eu l’idée, pendant la première guerre mondiale, de prendre pour cible non pas un but mais un trou). La Qarabie obtient l’organisation de cet événement mondial. Mais ce qui devait apporter en gloire médiatique se révèle être un piège. Car personne n’avait assez anticipé la venue de nombreux supporters, qui viennent pour le sport mais aussi pour l’alcool. Et tout le monde se retrouve dépassé par les événements, sauf une minorité qui en tire parti, s'appuyant sur le rejet de cette population qui va à l'encontre de leurs principes conservateurs.

Qatarina est un ouvrage plaisant, rondement mené, qui attire l’attention sur des questions souvent éclipsés quand on traite des nouveaux pays riche du Golfe Persique. Reste néanmoins une question à la fin de la lecture : pourquoi avoir imaginé un sport nouveau, mais surtout un pays nouveau, alors que tout est transparent (et que les autres pays ont gardé leur nom actuel) ?

Du même auteur : Les meilleures intentions du monde

 Yohan

Extrait :

Revêtus de leurs t-shirts rouge, noir et jaune, les supporters belges se bousculaient devant l'entrée du bus pour échapper à la chaleur étouffante. Le conducteur de leur Ashok Leyland, un vieil indien sikh dont les moustaches vrillées remontaient jusqu'aux oreilles, s'amusa de cette cohue. C'étaient plutôt les ouvriers du bâtiment qu'il avait l'habitude de voir se précipiter sur son gros car cabossé. Les supporters se pressaient contre les petits ventilateurs qui pendaient à chaque fenêtre, éternuaient bruyamment ou juraient contre le président de la FIHB qu'ils tenaient pour coupable de leur inconfort. Guillaume et Jérémy accompagnés de Myriam, roulaient derrière le bus, à quelques centaines de mètres de l'escorte qui lui avait été attribué. En ce premier jour de compétition, les rues étaient désertes. Les autorités avaient découragé les habitants de sortir de chez eux. Un vent de poussière venu du désert s'était levé. Il plongea la ville dans la pénombre et avec lui, apporta un silence inquiétant et poisseux. Guillaume avait beau scruter l'horizon, il ne voyait personne. Ni curieux, ni supporters pour les saluer. A chaque rond-point, des policiers locaux emmitouflés dans leurs manteaux pour se protéger des particules de sable supervisaient le passage du bus. "Non, vous ne vous êtes pas trompés de route, vous allez bien à la cérémonie d'ouverture d'un événement sportif planétaire", avaient-ils l'air de confirmer.

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Qatarina de Gabriel Malika - Éditions Intervalles - 187 pages