Désespérée par l'inertie apparente de la police, Lucia va être aidée dans ses recherches pour retrouver un mari inintéressant au possible, par deux voisins, Félix un vieil anarchiste qui fut aussi torero au cours d'une vie tumultueuse et le jeune et séduisant Adrian. Trois générations s'entraident donc pour trouver la solution de l'énigme : Lucia a la quarantaine, Adrian 20 ans et Félix 80. Ce n'est pas un des moindres charmes de ce trio improbable, embarqué dans des situations parfois drôles, souvent périlleuses, où se côtoient malfrats de tout poil, diamantaires hollandais, et politiciens corrompus.
Au-delà des péripéties rocambolesques d'un récit fort bien mené, La fille du Cannibale est d'abord un roman d'initiation, de prise de conscience d'une jeune femme qui se libère peu à peu d'une vie routinière, d'un mariage terne, et de l'image qu'elle se faisait de ses parents (le père « cannibale »). Lucia se construit sous les yeux du lecteur par la parole - elle s'analyse - et par l'écoute du récit de la vie de Félix, à elle seule un vrai roman.
Différents points de vue apparaissent donc : celui de la protagoniste qui se dédouble parfois, celui de Félix. Au contact de ses deux amis de hasard, Lucia apprend beaucoup. D'Adrian, elle apprend qu'elle peut encore séduire, aimer et être aimée. De Félix, elle apprend une sorte de sérénité et de sagesse.
Le personnage de loin le plus attachant est celui de Félix le vieil anarchiste qui a combattu aux côtés de Durruti. Pour Lucia, il ressuscite tout un pan de l'histoire de l'anarchisme espagnol avec ses ombres et ses lumières, et il est clair que la romancière a voulu d'une certaine façon lui rendre hommage.
Au final, La fille du Cannibale est un roman sympathique, de lecture agréable, dans lequel se mêlent de façon très réussie émotion et fantaisie.
Marimile
Du même auteur : Le roi transparent, Des larmes sous la pluie, Instructions pour sauver le monde
Extrait :
Maintenant que je me suis mentalement libérée de mes parents, moi aussi je me sens plus libre. Maintenant que je les ai laissés être ce qu'ils voulaient être, je crois que je commence à être moi-même. L'identité est quelque chose de confus et d'extraordinaire. Pourquoi suis-je moi et non une autre personne ? Je pourrais être Maria Martina, par exemple, la juge aguerrie au prénom de femme universelle... Où même l'écrivain Rosa Montero, pourquoi pas ? Puisque j'ai si souvent menti tout au long de ces pages, qui vous prouve maintenant que je ne suis pas Rosa Montero et que je n'ai pas inventé l'histoire de cette Lucia écervelée et verbeuse, de Félix et de tous les autres ? Mais non, je ne suis pas guinéenne comme la romancière, je n'ai pas écrit ce livre en bubi et je ne l'ai pas traduit ensuite en castillan. En outre, tout ce que j'ai raconté je l'ai vécu vraiment, y compris, surtout, mes mensonges. Il me semble enfin qu'aujourd'hui, je commence à me reconnaître dans le miroir de mon propre nom. Les jeux à la troisième personne sont terminés : même si c'est incroyable, je crois que je suis moi.
La fille du Cannibale de Rosa Montero - Éditions Points - 443 pages
Traduit de l'espagnol par André Gabastou
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