Auparavant, Delambre était DRH dans une entreprise de près de deux cents salariés. Il s’occupait du personnel, de la formation, il supervisait les salaires, il représentait la direction devant le comité d’entreprise. Mais depuis il considère son conseiller du Pôle Emploi comme l’un de ses plus proches contacts.

Alors, quand une lettre arrive à la maison au nom de BLC-Consulting, Alain Delambre retrouve un espoir. Un espoir fou, en apprenant qu’il est enfin convoqué pour un entretien suite à une annonce à laquelle il a répondu et qui lui correspond en tout point.

Mais les méthodes de recrutement sont particulièrement spéciales. Il s’agit de tester la capacité de tester des cadres de l’entreprise en poste.
Votre mission consiste à placer ces cadres dans une situation de stress suffisamment intense pour nous permettre de mesurer leur sang-froid, leur capacité à résister à des pressions violentes, à rester fidèles aux valeurs de l’entreprise à laquelle ils appartiennent lui indique-t-on au préalable.

Tout autre cadre réfléchirait aux méthodes peu orthodoxes qui vont départager les candidats. Mais pour Alain Delambre, ce poste, il le lui faut. Coûte que coûte.

Commence alors la partie la plus intéressante de Cadres noirs. Nous basculons d’un documentaire de société dans un véritable thriller. Car Delambre est prêt à tout pour obtenir le poste : prêt à utiliser les services d’un détective privé pour espionner ses concurrents, prêt à avoir recours à un barbouze pour se préparer à la simulation de prise d’otages. Et même à pire.
Au fil de la lecture, on pense au scénario du film de Costa Gavras, Le Couperet, avec José Garcia, où le héros, au chômage, postule pour une offre d’emploi pour laquelle il y a cinq ou six concurrents et décide de les éliminer pour être sûr de remporter le job.

La violence c’est comme l’alcool ou le sexe, ce n’est pas un phénomène, c’est un processus.

Non content de trahir sa famille, de voler sa fille, de se disqualifier auprès de ses meilleurs amis, Delambre va sombrer dans un scénario hallucinant.
Les choses vont très vite déraper. La séance de fausse prise d’otages, prévue pour créer le stress chez les cadres en poste, va tourner au vinaigre, au grand dam de l’instigateur, un certain Fontana plus vrai que nature, portraituré avec brio, homme de main au passé douteux du grand chef d’entreprise Dorfman, lui-même patron de l’entreprise Exxyal.

Ceux qui ont apprécié le style feuilleton de Au revoir là-haut vont retrouver avec plaisir le talent de Pierre Lemaître à faire rebondir son histoire. Dans son récit haletant, le héros va de mal en pis, jusqu’à la scène finale, ultime rebondissement (un peu tiré par les cheveux). Mais on garde de ce récit l’impression d’un excellent scénario, basé sur l’une de ces tragédies des temps modernes que peut engendrer le poids du chômage, et on peut s’étonner qu’aucun metteur en scène n’ait encore pensé à l’utiliser pour en faire un film.

En attendant, les lecteurs amateurs de thriller pourront s’en délecter.

Alice-Ange

Du même auteur : Au revoir là-haut

Extrait :

- Tout ce que je sais, bordel de merde, c’est que je suis encore dans la course !
Je me suis mis à hurler. Ma violence la cloue sur place
- Alain…. Dit-elle, paniquée
- Quoi Alain  ! Mais, putain de merde, tu ne vois pas qu’on est en train de devenir des clodos ? On crève à petit feu depuis quatre ans et on va finir par crever tout court ! Alors, oui, c’est dégueulasse, mais notre vie aussi, elle est dégueulasse ! Oui, ces gens-là sont des pourris, mais je vais le faire, tu m’entends ? Je vais faire ce qu’ils demandent. Tout ce qu’ils demandent ! Et même s’il faut leur tirer dessus pour avoir ce boulot, je vais le faire parce que j’en ai marre de crever et… que j’en ai marre, à soixante balais, de me faire botter le cul !
Je suis hors de moi.
Je saisis le meuble mural qui est à ma droite et je tire dessus si violemment qu’il se détache. Tout s’écroule, les assiettes, les tasses, dans un bruit terrible.

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Cadres noirs de Pierre Lemaitre - Éditions Calmann-Lévy - 349 pages