Alors qu'il prend l'avion pour se rendre à Helsinki et assister à un congrès de linguistes (sa profession), Budaï s'endort. Au réveil, il ne retrouve rien de connu : personne ne l'attend à l'aéroport, il perd ses valises et se retrouve au guichet d'accueil d'un hôtel, seul, perdu. Débute pour lui une longue quête, qui prend plusieurs objectifs : découvrir où il est et savoir comment repartir vers Helsinki ou chez lui.

Malheureusement, les locaux ne sont pas très coopérants. Personne ne semble faire attention à lui et à ses demandes. Il faut dire qu'ils sont occupés à faire la queue. Cela semble une des traditions du pays : que ce soit au restaurant ou à n'importe quel guichet, tout le monde fait constamment la queue. Budaï, d'abord irrité, prend peu à peu la mesure des coutumes locales et finit par s'y plier.

Le plus compliqué pour Budaï est qu'il n'arrive à se faire comprendre, mais surtout, qu'il ne comprend pas non plus les locaux. Pourtant, avec sa formation de linguiste et ses bases plus ou moins poussées dans diverses langues, il a l'habitude de pouvoir faire face à toutes les situations. Là, rien à faire. Cette langue ne ressemble à aucune de celles qu'il connaît et il cherche un vain des indices pour le mettre sur la piste de l'idiome local. Il cherche des textes en langue étrangère, il essaie de deviner le sens des sons qu'il entend le plus, en vain.

Alors il se promène dans cette ville nouvelle. Il essaie de solliciter la police, de trouver une agence de voyage, passe son temps dans le métro. Il découvre cette ville inconnue, comme un explorateur qui aborde un monde vierge. Rapidement, il n'a plus assez d'argent pour l'hôtel et est contraint de travailler puis de vivre dehors. Ce monde hostile, il ne l'apprivoise pas, il ne s'y fait pas. Toujours, il reste à côté, comme un personnage qui voit des événements se dérouler sans rien y comprendre. Comme lors de ces scènes de guerre civile à laquelle il prend part sans connaître ni les belligérants, ni leurs intentions.

Ce texte est dans la lignée surréaliste, avec un aspect kafkaïen évident. C'est l'histoire d'une homme confronté à un monde hostile, sans solution. Ferenc Karinthy signe avec Epépé (je vous laisse découvrir le sens de ce titre mystérieux) un roman original. A noter que cet ouvrage fait partie des premiers titres publiés par Zulma dans sa nouvelle collection de poches, collection qui a le bon goût de reprendre les magnifiques couvertures des ouvrages grand format.

 Yohan

Extrait :

Et la fois où il a essayé de mettre au moins en pratique le peu de ces mots qu'il croyait avoir déchiffré, par exemple quand il a voulu demander où trouver un buffet ou la bouche du métro, il a dû constater avec désappointement qu'on le comprenait mal ou plutôt pas du tout. Les aurait-il mal prononcés ? Ce ne serait pas étonnant après tout, tellement les natifs de ce pays articulent étrangement quand ils parlent... Mais une autre fois, dans un hall souterrain du métro où une rixe s'est brusquement déclarée pour une raison quelconque, Budaï a eu l'impression étrange que les autres aussi ne faisaient que proférer des expressions sonores complétement dénuées de sens, clairement personne n'écoutait personne. Devrait-on envisager que les gens eux-mêmes ne se comprennent pas tous les uns les autres ? Que les habitants s'expriment dans des dialectes divers, éventuellement dans des langages variés ? Un moment, une idée saugrenue a même surgi dans son esprit surchauffé : autant de personnes, autant de langages ?

epepe.jpg
Epépé de Ferenc Karinthy - Éditions Zulma - 285 pages
Traduit du hongrois par Judith et Pierre Karinthy